
ADN business : la face cachée
des tests grand public
Documentaire d'Olivier Toscer
(France, 2024, 1h30mn)
L’introduction d’Arte
Faux positifs, monétisation des données génétiques… Enquête sur les dessous du boom des tests ADN vendus par des entreprises privées, qui ont déjà attiré 50 millions d’utilisateurs dans le monde.
Les américaines Ancestry ou 23andMe, l’israélienne MyHeritage… Depuis une vingtaine d’années, une kyrielle de start-up surfe sur la révolution du séquençage du génome pour proposer au grand public des kits de tests ADN personnels, disponibles en quelques clics sur Internet. Près de 50 millions de personnes dans le monde ont déjà succombé à leur promesse : découvrir, grâce à des gouttes de salive, les secrets que recèleraient nos gènes.
Un marché aujourd’hui gigantesque, dont le chiffre d’affaires s’élève à 2 milliards de dollars par an. Si nombre d’utilisateurs, notamment aux États-Unis, y voient un simple moyen de connaître l’origine géographique de leurs ancêtres, de retrouver de lointains cousins ou d’identifier leur vulnérabilité génétique à telle ou telle pathologie, ces technologies – et le business qu’elles sous-tendent – posent des questions vertigineuses. Les résultats de ces tests sont-ils fiables ? Et, surtout, que devient la précieuse manne de données génétiques et personnelles collectées par les entreprises ?
ADN monétisé
Cette enquête le montre : derrière un habile discours marketing se cache un business opaque, scientifiquement et éthiquement hasardeux. Réalisés à la chaîne, les tests ADN à vocation médicale mènent à de fréquents faux positifs – à l’image de cet utilisateur auquel on a diagnostiqué à tort deux mutations gravissimes – et laissent dubitatifs les généticiens.Mais le danger majeur concerne l’inquiétante absence de protection des données personnelles, potentiellement revendues au bon vouloir des entreprises. En Nouvelle-Zélande, les assurances santé privées exigent désormais de leurs clients la divulgation des résultats des analyses, ouvrant la voie à une véritable discrimination génétique…
Avec sa loi bioéthique, la France est aujourd’hui l’un des rares pays au monde à interdire ces tests « récréatifs » sur son territoire. S'appuyant sur des éclairages d’experts, chercheurs et avocats – mais également sur les édifiants témoignages de clients de ces entreprises –, ce documentaire révèle les dessous d'un marché florissant, s'interroge sur le avenir de la médecine et souligne la fragilité de notre vie privée à l'ère numérique.
Vous trouverez ci-après :
La vidéo d'Arte :
Le résumé de la vidéo par NotebookLM
En fichier PDF joint, le podcast de NotebookLM qui récapitule parfaitement, avec deux intervenants, la vidéo d'Arte.
La vidéo d'Arte
Le résumé de NotebookLM
Les tests génétiques personnels, disponibles en ligne et promus par une multitude d'influenceurs, promettent de révéler tout sur soi, de ses origines à ses prédispositions santé, en partant du principe que l'ADN est synonyme de fiabilité scientifique. Ce "gadget biotech" accessible séduit près de 50 millions de personnes dans le monde. Pour réaliser le test, il suffit d'activer un kit en ligne, de frotter un coton-tige contre sa joue pendant 30 à 60 secondes, de placer l'échantillon dans un sac plastique et de le poster.
Ces tests s'appuient sur la découverte de l'ADN, la macromolécule qui est le support de la transmission héréditaire et contient des informations essentielles pour la construction de l'organisme, rendant chaque individu unique. L'ADN est un outil vital en médecine, biologie et criminologie. Les tests grand public visent à exploiter cette molécule pour répondre à la curiosité des particuliers sur leurs origines.
Les tests d'origine fournissent une série de pourcentages censés retracer les lieux d'où viennent les ancêtres. Le processus implique de comparer l'ADN du client avec celui déjà présent dans la base de données de l'entreprise pour calculer des pourcentages de similarité. Cependant, les scientifiques critiquent cette approche car la génétique est éminemment statistique et ne repose que sur des probabilités.
Un généticien des populations note que la comparaison se fait avec des personnes vivantes dans la base de données, et non avec les ancêtres eux-mêmes.
De plus, la notion d'origine basée sur les pays de naissance est problématique car les frontières ont changé fréquemment au cours de l'histoire.
Les entreprises mélangent souvent des catégories géographiques variées (pays et régions), ce qui est scientifiquement incorrect.
Les méthodes de calcul exactes utilisées par ces entreprises sont souvent gardées secrètes au nom du secret des affaires, rendant impossible pour les scientifiques d'évaluer leur rigueur. Une ancienne employée de 23andMe a indiqué qu'un document décrivant leur algorithme avait été publié en ligne, mais sans passer par le processus d'évaluation par les pairs.
Au-delà des origines, le marché s'est étendu à la santé, un domaine potentiellement beaucoup plus vaste. En utilisant la même information sur la séquence d'ADN, les entreprises peuvent proposer des tests de santé établis sur des modèles d'analyse de données qui s'appuient sur la littérature scientifique accumulée depuis plus de 70 ans de recherche médicale sur l'ADN.
23andMe, fondée par Anne Wojcicki, N.D.L.R : l’ex-femme de Sergey Brin, le cofondateur de Google, a été la première à commercialiser des tests dédiés au diagnostic de la plupart des maladies dès 2006. L'autorisation par les autorités américaines en 2013 de commercialiser des tests pour les gènes BRCA1/2, associés à un risque élevé de cancers du sein et des ovaires, a marqué un tournant. La médiatisation par Angelina Jolie de sa décision de subir une ablation préventive après avoir découvert qu'elle était porteuse de cette mutation a contribué à l'explosion de cette industrie du diagnostic sans médecin, où il suffit d'envoyer un échantillon de salive et de remplir un questionnaire en ligne.
Cependant, la fiabilité des résultats, notamment pour les tests de santé, laisse à désirer. Des experts estiment que 40 % des résultats de tests génétiques effectués sur internet correspondent à un résultat faux.
L'histoire de Mathieu Courtois illustre ce problème : un test en ligne lui a rendu deux faux positifs pour des variations génétiques extrêmement rares et aux conséquences graves (syndrome de Li-Fraumeni et polypose adénomatose familiale). Un test de contrôle réalisé par l'Institut Curie a prouvé qu'il n'était pas porteur de ces mutations. L'erreur provenait d'un traitement informatique de mauvaise qualité, le fichier brut de séquençage contenant des erreurs n'ayant pas été nettoyé.
De plus, les tests grand public n'analysent qu'une petite partie de l'ADN, contrairement aux laboratoires médicaux qui scrutent le génome entier, ce qui les rend moins efficaces pour identifier toutes les mutations. La prédiction des maladies est également beaucoup plus complexe que ne le suggèrent ces tests. Si les maladies rares monogéniques (causées par un seul gène) peuvent être prédites avec une certaine fiabilité, la plupart des maladies courantes (cancers, maladies cardiovasculaires, neurodégénératives) résultent d'une combinaison complexe de facteurs génétiques et environnementaux qui interagissent constamment, rendant une prédiction basée uniquement sur l'ADN insuffisante et compliquée.
Le véritable modèle économique de ces entreprises ne réside pas dans la vente des kits, souvent vendus à prix très bas, voire à perte, mais dans la collecte massive de données génétiques et personnelles. Le kit est un moyen de récolter l'information. Plus il y a d'utilisateurs, plus les bases de données s'enrichissent, ce qui augmente les chances de correspondance (pour les origines) et permet plus de prédictions (pour la santé), attirant ainsi de nouveaux clients dans une boucle sans fin. Ces données précieuses sont associées aux informations personnelles fournies par les clients via des questionnaires intrusifs.
Les entreprises ont tenté de monétiser ces données en vendant l'accès à leur base de données à l'industrie pharmaceutique. 23andMe a conclu un accord majeur avec GlaxoSmithKline.
Cependant, transformer ces données en découvertes de médicaments s'est avéré difficile, et la valeur de l'accès aux séquences ADN a chuté. Les tentatives de recherche internes n'ont pas abouti à des découvertes majeures. Face à ces difficultés, des entreprises comme 23andMe mettent leurs données à disposition de la communauté universitaire gratuitement, une stratégie commerciale qui assoit leur crédibilité tout en alimentant des études. Ces études, parfois scientifiquement discutables dans leur méthodologie (tentant de séparer l'inné de l'acquis), s'intéressent à des sujets controversés comme le lien entre génétique et niveau scolaire ou même des traits comportementaux. Elles servent à entretenir l'idée marketing que « tout est dans nos gènes ». L'attrait de ces bases de données a attiré de grands fonds d'investissement, comme Blackstone qui a racheté Ancestry pour près de 5 milliards de dollars, voyant une opportunité de monétiser les données de santé.
La collecte de données génétiques soulève d'énormes préoccupations en matière de confidentialité et de sécurité. Les conditions générales de vente sont souvent complexes et compliquent la suppression des données. Un piratage majeur chez 23andMe en 2023 a exposé les données de près de 7 millions de clients, dont les informations génétiques, coordonnées, âge, origine et problèmes de santé, mises en vente sur le darknet.
Un autre danger majeur est la discrimination, notamment dans le domaine des assurances. L'ADN est un facteur biométrique qui peut être utilisé pour faire des catégories et de la sélection. En Nouvelle-Zélande, contrairement à la plupart des pays développés qui l'ont interdite, la discrimination génétique par les assureurs est autorisée. Ils peuvent demander les résultats de tests génétiques et les utiliser pour refuser une couverture ou augmenter les primes. Cela incite des personnes à éviter des tests génétiques potentiellement vitaux par crainte des répercussions sur leur assurabilité. L'expérience d'Anique Greenhill, confrontée à des refus d'assurance après avoir découvert qu'elle était porteuse du gène BRCA1, illustre cette situation.
Le reportage souligne les risques de confier son patrimoine génétique à des sociétés privées. Donner son ADN affecte également les informations génétiques de ses proches qui n'ont pas forcément fait de test. Le fait que ces entreprises puissent agir en dehors de tout contrôle, avec des conditions d'utilisation qui changent, est préoccupant. L'objectif de maximiser la rentabilité pourrait l'emporter sur les questions éthiques et de protection. Le savoir prédictif croissant établi sur la génétique, s'il n'est pas encadré, pourrait mener à des sociétés profondément inégalitaires et discriminatoires fondées sur la « chance génétique ».
La France est l'un des rares pays à avoir interdit les tests ADN personnels, considérant qu'ils donnent des informations potentiellement bouleversantes et sont dangereux. Le reportage conclut que la génétique est un domaine formidable pour la connaissance, mais qu'elle devrait rester l'apanage des scientifiques, loin des seuls intérêts commerciaux, afin d'exploiter ses bienfaits tout en évitant ses pièges.
