
Médecine préventive, longévité, qualité de vie, santé durable...
Anne Ghesquière reçoit Alaedine Benani, chercheur en intelligence artificielle, interne en médecine vasculaire et engagé chez la start-up Zoī, pionnière en prédiction santé.
Comment vivre plus longtemps… mais surtout en meilleure santé ?
Quel rôle peuvent jouer la technologie et l’IA dans cette transformation de la santé ?
Alaedine Benani défend une vision profondément humaine et préventive de la médecine et replace l’écoute du corps et la conscience au centre du soin
Médecine préventive : vivre mieux (et plus longtemps)
La prévention n’est pas une morale en blouse blanche. C’est une stratégie lucide pour gagner des années de vie en bonne santé — celles où l’on grimpe les escaliers sans négocier avec ses genoux et où l’on dort sans se chamailler avec son cerveau. Le document que j’ai analysé rappelle une évidence trop peu pratiquée : la prévention efficace n’est pas paternaliste, elle part du mode de vie réel de chacun et propose des conseils taillés sur mesure. Oui, la même « ordonnance » ne convient pas à une mère débordée et à une étudiante insomniaque — et c’est tant mieux.
Pourquoi la prévention change la donne
Le cœur de l’argument est simple : une large part des maladies chroniques — AVC, diabète et même une fraction significative des cancers — pourrait être évitée en amont par une démarche structurée de prévention. L’intervenant défend une médecine qui « redonne de la vie aux années » plutôt que d’ajouter mécaniquement des années à la vie. Autrement dit : viser la qualité avant la quantité, la fonctionnalité avant la longévité vaine.
Cette approche n’a rien d’abstrait : elle s’attaque aux pathologies lentes, celles qui couvent 20 à 30 ans (hypertension, diabète, AVC) et explosent à 50, 60 ou 70 ans chez des personnes « en pleine forme »… jusqu’au jour où. Le seul moyen honnête de réduire l’impact de ces maladies, c’est la prévention systématique.
« Vivre mieux », concrètement
Le « mieux » a deux faces : le physique (pas de douleur qui rabote les journées, pas de fatigue qui rétrécit le monde) et le mental (concentration, humeur stable, capacité à diriger sa volonté). L’idée n’est pas stoïcienne au sens sec : il s’agit de réduire l’anxiété anticipatoire et d’aligner nos élans vitaux avec notre quotidien — autrement dit, mettre la joie au service de l’adhérence, parce que la volonté « à la dure » ne tient jamais très longtemps.
La grande oubliée : la santé des femmes
La médecine a longtemps regardé les femmes avec des lunettes taillées pour les hommes — surtout en cardio. Résultat : sous-dépistage, sous-prévention, alors même que la protection par les œstrogènes s’estompe après la ménopause et révèle un risque majeur. La féminisation de la profession corrige peu à peu le tir, et des initiatives ciblées (comme le « bus du cœur des femmes ») montrent la voie : aller vers, expliquer, mesurer, suivre.
Notre environnement nous sculpte (souvent à la tronçonneuse)
Les marqueurs qui prédisent nos emmerdes de demain sont bien connus : LDL-cholestérol, glycémie, CRP (inflammation). Le mode de vie urbain et sédentaire les enflamme ; des populations préservées des toxiques modernes affichent, sans surprise, des profils cardio-métaboliques plus nets. Bref, la biologie n’est pas une loterie pure : on récolte ce qu’on sème, et ce qu’on inhale, boit, mâchouille.
Clou du spectacle (inquiétant) : des micro- et nanoplastiques ont été trouvés jusque dans les plaques carotidiennes, avec un risque d’AVC multiplié par quatre quand ils sont présents. Les voies d’entrée ? Bouteilles (y compris en verre… si le bouchon est en plastique), sachets et boîtes de conservation en plastique, ustensiles. La solution n’est pas la panique, mais la réduction méthodique des expositions.
Prévenir sans sombrer dans l’ascèse punitive : le plan d’action
Mesurer sans dramatiser. Un bilan périodique axé sur les bons marqueurs (LDL, glycémie, CRP) pour orienter l’effort là où il compte vraiment. La donnée est une boussole, pas une menace.
Hygiène du mental = hygiène du corps. Protéger le sommeil, apprivoiser le stress, cultiver l’attention et l’humeur : c’est de la prévention, pas du luxe. Les habitudes tiennent mieux quand elles sont portées par le désir, pas par la culpabilité.
Bouger intelligemment. L’objectif n’est pas de souffrir, mais d’augmenter la capacité sans casser la motivation. Le sport qui met en joie vaut mieux que la salle qui met en fuite.
Désplastifier le quotidien. Filtrer l’eau du robinet, préférer l’inox/le verre (vrai), éviter la conservation chaude en plastique, traquer les bouchons et films inutiles. C’est du rendement préventif élevé, preuves à l’appui.
Spécifique femmes. Dépistage cardio ciblé après la ménopause, campagnes de terrain, rattrapage d’un retard historique en prévention.
Nutrition sans dogme. Varier, limiter les gros poissons prédateurs (métaux lourds), se méfier des élevages traficotés, cuisiner frais. Le foie fait un boulot prodigieux, mais ce n’est pas une déchetterie municipale.
La bonne nouvelle (si, il y en a une)
Notre organisme détoxifie en permanence — le foie est un stakhanoviste de la régénération — et il suffit d’un environnement un peu plus malin pour qu’il gagne la course. Le message final est clair : savoir n’a d’intérêt que si cela déclenche des actions, pas des angoisses. La prévention, c’est du pragmatisme joyeux : on ajuste quelques leviers, on s’observe avec curiosité, et l’on récolte des années vivables. C’est plus punk qu’ascétique.
