Un soupir de soulagement, quelques considérations sur l'avertissement qu'il faut bien sûr entendre, et tout rentre dans l'ordre. Tout ce que le pays compte d'intérêts puissants et d'élites installées a joué à se faire peur pendant quinze jours, chacun trouvant là l'occasion d'afficher sa vertu et son sens des responsabilités. Pendant quinze jours, on a ressorti l'attirail antifasciste, assorti d'une variante, actualité oblige: cette fois, les chars russes allaient défiler sur les Champs-Élysées. Le « camp de la raison y est allé de tous les excès et de toutes les caricatures. De toutes les infox Mais c'était pour la bonne cause.
Et, de fait, les Français n'ont pas voulu d'un saut dans le vide. Ils n'ont pas voulu du chaos. On ne parle pas là de cette bourgeoisie qui, à l'image des Versaillais tremblant encore au souvenir de la racaille communarde après l'avoir écrasée, rêverait d'enfin se débarrasser de ce peuple qui vote si mal, mais des autres. De tous les autres, qui ont considéré en conscience que Marine Le Pen n'avait pas le niveau, que son programme comportait quelques propositions aberrantes ou simplistes et que sa victoire achèverait de fracturer un pays au bord de l'explosion.
Et maintenant? Emmanuel Macron va, comme en 2017, et comme ses prédécesseurs avant lui, faire son petit pèlerinage à Berlin. Les commentateurs voudront se faire croire que, cette fois, puisqu'il n'y a plus Angela Merkel, la France pourrait prendre le leadership *. Les plus lucides parmi les dirigeants des entreprises stratégiques savent pourtant ce qu'il en est : le président, dans la lignée des classes dirigeantes depuis trente ans, s'apprête à offrir sans contrepartie l'industrie de défense française, fruit de l'investissement des contribuables et de l'excellence de générations d'ingénieurs, au nom d'une défense européenne tout sauf indépendante. Le reste sera à l'avenant. EDF soumis au bon vouloir d'une Commission décidée à le démanteler. La filière nucléaire privée de véritable visibilité, obligée tous les trois ans de justifier de son statut d'énergie de transition dans le cadre de la taxonomie européenne. Et ne parlons même pas de l'euthanasie programmée de l'élevage et du maraichage français, mis en concurrence avec des modèles industriels, malgré les discours fumeux et les promesses de clauses miroir dans les traités de libre-échange… On continue?
Les dossiers sont innombrables. Mais aucun n'arrivera même à la connaissance des citoyens. Par le miracle d'une Ve République mainte fois tripatouillée et de partis politiques décrépits qui ont ceuvré à leur propre suicide, la démocratie française réussit l'exploit d'évacuer tous les débats sur les choix essentiels qui engagent l'avenir du pays. Pendant plusieurs décennies, libéraux de droite et libéraux de gauche ont joué à la fausse alternance en évitant savamment d'expliciter les clivages fondamentaux qui les traversaient. Ils ont fermé les yeux sur tout ce qui détruisait la France en tant que nation et en tant que peuple, sur tout ce qui fracturait la communauté politique, condamnait au désespoir et au dégoût les classes moyennes et populaires, et privait l'État des moyens de protéger les citoyens et de leur permettre de décider librement de leur destin. Résultat, la survie du système est passée par la fusion entre ces deux camps factices pour repousser dans les marges les révoltés et les révolutionnaires.
Ce second tour l'a démontré: nous sommes désormais dans un schéma politique où l'alternance n'existe plus. D'où le supposé exploit d'Emmanuel Macron, seul président réélu hors cohabitation depuis de Gaulle. Et que les mélenchonistes se consolent: le résultat eût été le même si leur champion était parvenu au second tour, parce qu'une majorité de Français n'a pas envie d'être gouvernée par Taha Bouhafs, Eric Coquerel, Clementine Autain ou Danièle Obono, dans la célébration de l'écriture inclusive, du comité Vérité et Justice pour Adamma ou du Collectif contre l'islamophobie en France.
« Il n'y a pas d'alternative ». Cette phrase d'Emmanuel Macron, ministre de l'Economie, en une du Point le jour de sa nomination à Bercy, prend un sens plus tragique encore que celui d'un hommage à Margaret Thatcher, Il n'y a pas d'alternative, donc pas de véritable démocratie. Votez ce que vous voulez, mais votez pour la seule proposition possible. Elle va de Nicolas Sarkozy à Jean-Pierre Chevènement, ce qui donne l'illusion d'englober tout le champ politique. Votez pour vingt-cinq nuances de République en marche, mais pour un seul système économique et institutionnel.
Pendant plusieurs décennies libéraux de droite et libéraux de gauche ont joué la fosse alternance en évitant d'expliciter les clivages fondamentaux.
Le discours façon Miss France d'Emmanuel Macron au soir de sa réélection, à grand renfort de bienveillance et d'écoute pour tous ces Français qui ont fait barrage ou même voté Le Pen, masque difficilement une vérité: la France n'a plus de temps à perdre. Si l'on veut ramener dans le giron démocratique ceux qui vont vivre le résultat de cette élection comme une forfaiture, si l'on veut casser ce clivage peuple/elites que l'unanimisme médiatico-politique a installé, si l'on veut réinstaurer la Res Publica, la chose publique, propriété de tous les citoyens, il ne me faut pas attendre cinq ans de plus.
Natacha Polony
Marianne, 27 avril 2022
Et, de fait, les Français n'ont pas voulu d'un saut dans le vide. Ils n'ont pas voulu du chaos. On ne parle pas là de cette bourgeoisie qui, à l'image des Versaillais tremblant encore au souvenir de la racaille communarde après l'avoir écrasée, rêverait d'enfin se débarrasser de ce peuple qui vote si mal, mais des autres. De tous les autres, qui ont considéré en conscience que Marine Le Pen n'avait pas le niveau, que son programme comportait quelques propositions aberrantes ou simplistes et que sa victoire achèverait de fracturer un pays au bord de l'explosion.
Et maintenant? Emmanuel Macron va, comme en 2017, et comme ses prédécesseurs avant lui, faire son petit pèlerinage à Berlin. Les commentateurs voudront se faire croire que, cette fois, puisqu'il n'y a plus Angela Merkel, la France pourrait prendre le leadership *. Les plus lucides parmi les dirigeants des entreprises stratégiques savent pourtant ce qu'il en est : le président, dans la lignée des classes dirigeantes depuis trente ans, s'apprête à offrir sans contrepartie l'industrie de défense française, fruit de l'investissement des contribuables et de l'excellence de générations d'ingénieurs, au nom d'une défense européenne tout sauf indépendante. Le reste sera à l'avenant. EDF soumis au bon vouloir d'une Commission décidée à le démanteler. La filière nucléaire privée de véritable visibilité, obligée tous les trois ans de justifier de son statut d'énergie de transition dans le cadre de la taxonomie européenne. Et ne parlons même pas de l'euthanasie programmée de l'élevage et du maraichage français, mis en concurrence avec des modèles industriels, malgré les discours fumeux et les promesses de clauses miroir dans les traités de libre-échange… On continue?
Les dossiers sont innombrables. Mais aucun n'arrivera même à la connaissance des citoyens. Par le miracle d'une Ve République mainte fois tripatouillée et de partis politiques décrépits qui ont ceuvré à leur propre suicide, la démocratie française réussit l'exploit d'évacuer tous les débats sur les choix essentiels qui engagent l'avenir du pays. Pendant plusieurs décennies, libéraux de droite et libéraux de gauche ont joué à la fausse alternance en évitant savamment d'expliciter les clivages fondamentaux qui les traversaient. Ils ont fermé les yeux sur tout ce qui détruisait la France en tant que nation et en tant que peuple, sur tout ce qui fracturait la communauté politique, condamnait au désespoir et au dégoût les classes moyennes et populaires, et privait l'État des moyens de protéger les citoyens et de leur permettre de décider librement de leur destin. Résultat, la survie du système est passée par la fusion entre ces deux camps factices pour repousser dans les marges les révoltés et les révolutionnaires.
Ce second tour l'a démontré: nous sommes désormais dans un schéma politique où l'alternance n'existe plus. D'où le supposé exploit d'Emmanuel Macron, seul président réélu hors cohabitation depuis de Gaulle. Et que les mélenchonistes se consolent: le résultat eût été le même si leur champion était parvenu au second tour, parce qu'une majorité de Français n'a pas envie d'être gouvernée par Taha Bouhafs, Eric Coquerel, Clementine Autain ou Danièle Obono, dans la célébration de l'écriture inclusive, du comité Vérité et Justice pour Adamma ou du Collectif contre l'islamophobie en France.
« Il n'y a pas d'alternative ». Cette phrase d'Emmanuel Macron, ministre de l'Economie, en une du Point le jour de sa nomination à Bercy, prend un sens plus tragique encore que celui d'un hommage à Margaret Thatcher, Il n'y a pas d'alternative, donc pas de véritable démocratie. Votez ce que vous voulez, mais votez pour la seule proposition possible. Elle va de Nicolas Sarkozy à Jean-Pierre Chevènement, ce qui donne l'illusion d'englober tout le champ politique. Votez pour vingt-cinq nuances de République en marche, mais pour un seul système économique et institutionnel.
Pendant plusieurs décennies libéraux de droite et libéraux de gauche ont joué la fosse alternance en évitant d'expliciter les clivages fondamentaux.
Le discours façon Miss France d'Emmanuel Macron au soir de sa réélection, à grand renfort de bienveillance et d'écoute pour tous ces Français qui ont fait barrage ou même voté Le Pen, masque difficilement une vérité: la France n'a plus de temps à perdre. Si l'on veut ramener dans le giron démocratique ceux qui vont vivre le résultat de cette élection comme une forfaiture, si l'on veut casser ce clivage peuple/elites que l'unanimisme médiatico-politique a installé, si l'on veut réinstaurer la Res Publica, la chose publique, propriété de tous les citoyens, il ne me faut pas attendre cinq ans de plus.
Natacha Polony
Marianne, 27 avril 2022