;
WEB SIDE STORIES- Site personnel de Guy DERIDET
Web Side Storie
WEB SIDE STORIES

«L'avenir n'est plus ce qu'il était» [Paul Valéry]



Réseaux sociaux : quand les algorithmes choisissent de diviser plutôt que d'apaiser


Des chercheurs viennent de démontrer qu'il suffit de modifier légèrement l'ordre d'affichage des publications sur les réseaux sociaux pour réduire significativement l'hostilité politique entre utilisateurs. Cette découverte technique soulève une question dérangeante : si la solution est aussi simple, pourquoi les plateformes persistent-elles à nous servir des contenus qui nous montent les uns contre les autres ?​



Imge : Gemini 3.0
Imge : Gemini 3.0

Une expérience qui change la donne

Une équipe de chercheurs internationaux a mis au point un outil web capable de réorganiser en temps réel le fil d'actualité de X (ex-Twitter) sans toucher à la plateforme elle-même. Le principe est d'une simplicité trompeuse : un modèle de langage (un programme d'intelligence artificielle capable de comprendre le sens d'un texte) analyse chaque message et identifie ceux qui portent une charge polarisante – appels à la violence politique, déshumanisation du camp adverse, incitations à emprisonner les opposants. Au lieu de supprimer ces contenus, l'algorithme les fait simplement descendre dans le fil, réduisant ainsi leur visibilité sans censure directe.​

Testée pendant dix jours avant la présidentielle américaine de 2024, cette modification discrète a produit des résultats mesurables : les participants ont ressenti moins d'émotions négatives en naviguant sur le réseau, et leur perception des membres du parti opposé s'est améliorée. L'effet fonctionne de manière équivalente quel que soit le bord politique des utilisateurs.​

Le "Prosocial Ranking Challenge" : réinventer les algorithmes

Cette expérience s'inscrit dans un mouvement de recherche plus large, baptisé le "Prosocial Ranking Challenge". Ce concours finance des équipes qui conçoivent des algorithmes de recommandation – ces programmes qui décident de l'ordre dans lequel vous voyez les publications – optimisés non plus pour capturer votre attention le plus longtemps possible, mais pour des objectifs sociaux positifs : réduction de la polarisation affective, soutien aux normes démocratiques, promotion de contenus qui créent des ponts entre groupes opposés.​

Des chercheurs comme ceux de Stanford et du MIT ont testé des fils d'actualité intégrant explicitement des "valeurs démocratiques" dans leur fonctionnement. Concrètement, cela signifie que l'algorithme "sait" qu'il ne doit pas favoriser les contenus qui délégitiment le vote ou glorifient la violence politique, même si ces contenus génèrent beaucoup de clics et de partages. D'autres travaillent sur des "bridging algorithms" (algorithmes-ponts) qui détectent et mettent en avant les publications susceptibles d'être acceptées par différents camps politiques, plutôt que de renforcer les chambres d'écho.​

Ces systèmes sont testés via des extensions de navigateur installées par des milliers d'utilisateurs volontaires, qui acceptent de voir leur fil Facebook, X ou Reddit réorganisé pendant plusieurs semaines, avec mesures avant et après sur leurs attitudes politiques et leur bien-être. Les résultats convergent : un classement différent des mêmes contenus suffit à changer l'ambiance générale sans faire baisser l'engagement des utilisateurs.​

Ce que ces recherches révèlent sur les plateformes actuelles

Voici le point crucial que ces travaux mettent en lumière : si une simple réorganisation du fil réduit l'hostilité, cela signifie que l'organisation actuelle produit activement cette hostilité. Les plateformes comme X, Facebook ou TikTok ne sont pas des observateurs neutres qui se contentent de refléter les divisions de la société. Leurs algorithmes font des choix précis à chaque seconde : quel message apparaît en premier, lequel est relégué en bas de page, lequel vous sera notifié.​

Or ces choix reposent aujourd'hui sur une logique simple et brutale : maximiser le temps que vous passez sur la plateforme. Les ingénieurs des réseaux sociaux savent depuis longtemps que les contenus qui génèrent le plus d'engagement – likes, partages, commentaires – sont souvent ceux qui provoquent de l'indignation, de la colère ou de la peur. Un message scandaleux sur "l'autre camp" politique vous fera réagir bien plus vite qu'une analyse nuancée ou un point d'accord. L'algorithme détecte ce signal et en tire la conclusion : "cet utilisateur aime ce type de contenu, servons-lui en davantage".​

Les dirigeants de ces plateformes ne peuvent plus prétendre ignorer ces mécanismes. Les recherches sur les effets toxiques des algorithmes d'engagement se sont multipliées depuis 2020, souvent menées en collaboration avec Meta (maison-mère de Facebook) ou avec accès aux données internes. Le "Prosocial Ranking Challenge" est financé par des organismes de recherche publics et ses résultats sont accessibles à tous. Les technologies pour construire des algorithmes "conscients" de leur impact social existent désormais, notamment grâce aux grands modèles de langage capables d'évaluer la toxicité ou le potentiel de polarisation d'un message.​

X contre l'Europe : le bras de fer est engagé

La bataille entre les plateformes et la régulation européenne ne relève plus de la théorie. Le 5 décembre 2025, la Commission européenne a infligé à X une amende de 120 millions d'euros au titre du Digital Services Act (DSA), la première sanction prononcée dans ce cadre. Les griefs sont précis : utilisation trompeuse du badge de certification (le macaron bleu, qui a perdu son sens d'authenticité depuis le rachat par Musk), manque de transparence sur le fonctionnement des algorithmes et refus de donner accès aux données publiques pour les chercheurs.

La réaction d'Elon Musk a été immédiate et radicale : "L'Union européenne devrait être dissoute et les États membres devraient retrouver leur souveraineté". Il a qualifié l'amende d'"attaque contre X" et plus largement contre la liberté d'expression américaine. Le vice-président américain J.D. Vance l'a soutenu publiquement avant même l'annonce officielle, dénonçant la Commission européenne pour "censure" et affirmant que "l'UE devrait soutenir la liberté d'expression, et non attaquer les entreprises américaines".

Cette offensive coordonnée s'inscrit dans une stratégie plus large. Mark Zuckerberg, patron de Meta, vient d'annoncer l'arrêt de la vérification des faits aux États-Unis tout en dénonçant la "censure" européenne, adoptant exactement la même rhétorique que Musk. Il a promis de "travailler avec le président Trump pour repousser les gouvernements du monde entier qui s'en prennent aux entreprises américaines".

Trump lui-même soutient Musk dans ce conflit avec l'Union européenne, bien que les relations entre les deux hommes soient à nouveau tendues. Musk a quitté le DOGE (Department of Government Efficiency) fin mai 2025, après avoir constaté l'échec relatif de sa mission de réduction drastique des dépenses publiques et critiqué publiquement le projet de loi fiscale de Trump. Leur "bromance" s'est même transformée en juin 2025 en une guerre publique, Trump affirmant que Musk avait "perdu la tête" et menaçant d'annuler les contrats gouvernementaux de SpaceX, tandis que Musk répondait en suggérant que Trump devrait être destitué. Malgré ces tensions personnelles spectaculaires, Trump continue de défendre les intérêts des grandes plateformes américaines face à la régulation européenne, incarnant ainsi la solidarité des élites économiques et politiques américaines contre toute tentative de contrôle démocratique de leurs activités.

Un risque de retrait de X d'Europe ?

Certains signaux laissent penser qu'Elon Musk pourrait aller jusqu'à retirer X du marché européen plutôt que de se plier aux règles du DSA. La plateforme n'est pas "inondée de liquidités" : ses revenus publicitaires restent bien inférieurs à ce qu'ils étaient avant le rachat. Une amende de 120 millions d'euros – qui pourrait atteindre un milliard selon certaines sources – représente un fardeau financier réel, au moment où X partage désormais son financement avec xAI après leur fusion récente.

Surtout, Musk a déjà montré sa volonté de rupture : il a retiré X du code de pratique volontaire contre la désinformation en 2023, démantelé les équipes de modération et de recherche, et amplifié systématiquement les contenus conspirationnistes et partisans. Parallèlement, il intervient directement dans les débats politiques européens, soutenant le parti d'extrême droite AfD en Allemagne avant les élections de février 2025. Cette "combinaison de ressources technologiques et d'un agenda idéologique représente un risque pour les débats dans nos sociétés démocratiques", selon un diplomate européen cité par Le Monde.lemonde+1

Un retrait de X du marché européen aurait des conséquences contrastées. D'un côté, la plateforme perdrait l'accès à 450 millions de consommateurs et à un marché publicitaire majeur – ce qui rend un tel scénario peu probable selon certains observateurs. De l'autre, cela débarrasserait l'espace public européen d'une source majeure de désinformation et de polarisation artificielle. Pour beaucoup d'utilisateurs excédés par la toxicité croissante de la plateforme depuis 2022, ce ne serait effectivement "pas plus mal".

L'Europe va-t-elle céder à la pression américaine ?

Le véritable enjeu se situe au niveau géopolitique. L'administration Trump pourrait prendre des mesures de rétorsion contre l'Europe, d'autant que le président américain a fait de la défense des grandes plateformes technologiques une priorité politique, quelles que soient ses querelles personnelles avec Musk. La Commission européenne sait qu'elle s'engage dans un "bras de fer politique majeur entre Bruxelles et Washington". Certains fonctionnaires européens minimisent la menace : "Les grandes entreprises numériques américaines, y compris X, ne peuvent pas vivre sans le marché européen. Nous devons exercer un rapport de force".

Mais l'histoire récente incite à la prudence. L'Europe a souvent reculé face aux pressions américaines, que ce soit sur le numérique, la défense ou le commerce. La députée européenne Aurore Lalucq plaide pour qu'on "arrête d'avoir peur de notre ombre", rappelant que le DSA et le DMA (Digital Markets Act) sont le fruit de négociations complexes et d'un lobbying intense. Mais la question reste posée : l'Union aura-t-elle la détermination politique de tenir face à une coalition réunissant le président américain, les plus grandes plateformes mondiales et leur rhétorique sur la "liberté d'expression" ?

La Commission a pris deux ans pour construire un dossier juridique solide, anticipant que X contesterait les conclusions devant les tribunaux. Elle sait que ce cas servira de test : si elle cède sur X, l'ensemble du cadre réglementaire européen s'effondrera. Si elle tient, elle ouvrira la voie à d'autres sanctions contre Meta, TikTok et les plateformes qui font délibérément le choix de la division pour des raisons de profit

Sources :

https://fr.euronews.com/my-europe/2025/12/05/la-commission-europeenne-inflige-une-amende-de-120-millions-deuros-au-reseau-social-x-delo

https://www.silicon.fr/business-1367/lue-sanctionne-x-premiere-amende-historique-dans-le-cadre-du-dsa-224728

https://time.com/7339192/elon-musk-eu-x-fine-trump/

https://www.ouest-france.fr/economie/elon-musk/le-reseau-x-condamne-a-une-grosse-amende-en-europe-elon-musk-estime-que-lunion-europeenne-doit-etre-abolie-aa18f448-d371-11f0-a0f2-b2a4fbd1e8d9

https://www.lefigaro.fr/societes/l-union-europeenne-devrait-etre-dissoute-elon-musk-reagit-a-l-amende-de-120-millions-d-euros-imposee-a-x-20251206

https://www.lemonde.fr/en/economy/article/2025/01/13/european-digital-regulation-comes-under-attack-from-trump-musk-and-zuckerberg_6737001_19.html

https://www.lefigaro.fr/flash-actu/au-lieu-de-faire-doge-j-aurais-tout-simplement-du-travailler-a-mes-entreprises-elon-musk-revient-sur-l-echec-de-son-ministere-20251210

https://fr.euronews.com/2025/05/29/decu-elon-musk-le-patron-de-tesla-annonce-quil-quitte-le-gouvernement-de-donald-trump

https://www.lepoint.fr/monde/comme-prevu-elon-musk-quitte-le-doge-et-le-gouvernement-trump-29-05-2025-2590798_24.php

https://www.timesofisrael.com/trump-musk-feud-continues-with-us-president-saying-tech-mogul-lost-his-mind/

 


Jeudi 25 Décembre 2025

Lu 31 fois
1 2 3 4 5 » ... 26

Mode d'emploi de ce site | Edito | Humour | Santé | Intelligence Artificielle | Covid-19 | Informatique | Sexualité | Politique | Coup de gueule | Coup de coeur | Voyages | Divers | Télécoms | Ordiphones | Musique | Archives | Dernières nouvelles | Bons plans | Belles annonces | Environnement | Partenaires