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«L'avenir n'est plus ce qu'il était» [Paul Valéry]



La colère légitime en démocratie

On nous a appris la sagesse, la retenue, le fameux "self-control" qui sied aux gens civilisés. Mais à force de rester de marbre face aux couleuvres que l'on nous fait avaler, ne serions-nous pas en train de devenir les complices passifs de notre propre éviction démocratique ? Une vidéo stimulante de Clément Viktorovitch.



Image : Gemini 3.0
Image : Gemini 3.0

Clément Viktorovitch, dans son analyse percutante sur la "Logocratie", vient de mettre le doigt là où ça fait mal : notre indignation est en train de s'endormir sous une pile de mensonges banalisés.

 



Politique : Et si notre plus grand tort était de ne plus savoir nous mettre en colère ?

Le mode "Robot" ou l’art de nous prendre pour des billes

Imaginez une ministre — Marlène Schiappa pour ne pas la nommer — qui confesse en toute décontraction être passée en "mode robot" durant sa carrière. Le programme est simple : ne jamais répondre, embrouiller l'interlocuteur, tout contrôler. On ne parle pas ici d'une stratégie de communication de bas étage, mais bien d'un aveu de déconnexion totale. Quand ceux qui parlent en notre nom décident délibérément de ne plus nous adresser la parole mais de nous envoyer un algorithme de défense, la démocratie ne bat plus de l'aile, elle s'écrase au sol.

Bienvenue en Logocratie : le régime où les mots ne veulent plus rien dire

Viktorovitch pose un diagnostic clinique : nous avons basculé dans la logocratie. C’est ce régime hybride, un entre-deux poisseux où l’on n’est plus tout à fait en démocratie, sans être encore dans une dictature de manuel scolaire. Ici, le gouvernement ne ment pas simplement pour masquer une erreur ; il ment parce que le mensonge est devenu l'oxygène du pouvoir.

La nuance est capitale : quand l’opposition ment, elle ne ment qu’en son nom propre. C’est agaçant, mais c'est le jeu. En revanche, quand le gouvernement ment, il le fait en notre nom, avec le tampon de l’État. Il vide de sa substance l'idéal que nous avons construit. À ce stade, le mot "citoyen" devient une simple étiquette sur un dossier qu'on classe sans suite.

Le sondage qui fait froid dans le dos

Les chiffres du Cevipof sont là pour le confirmer : la première préoccupation des Français n’est pas uniquement leur portefeuille, mais la vie politique elle-même. Nous avons perdu confiance. Non pas parce que nous sommes devenus d’éternels râleurs — trait de caractère que l'on nous prête volontiers — mais parce que nous sentons bien que la vérité est devenue une option payante dont le pouvoir a résilié l'abonnement.

Pour une colère saine, démocratique et nécessaire

On nous présente souvent la colère comme une émotion brute, sauvage, presque honteuse. Viktorovitch, lui, la réhabilite comme un outil de survie démocratique. Il ne s'agit pas de tout casser, mais de refuser ce quotidien "ouaté" où l'on finit par soupirer : "Oh, de toute façon, ils mentent tous".

C’est précisément ce fatalisme qui les arrange. Reconquérir notre capacité d’indignation, c’est exiger que les décisions prises en notre nom reposent sur une réalité partagée et non sur une fiction médiatique. La colère légitime est le dernier rempart contre l'indifférence. Et si, pour nos 78 ans et plus, le plus beau cadeau à faire aux générations futures était de leur montrer qu'on ne nous la fait pas ?


 


Addendum : 

De l'Éloquence au Gazouillis : Cinquante ans de débandade verbale

En 1973, nous étions encore dans les effluves d'une France qui écoutait ses présidents comme on écoute un sermon laïque. Puis vint 1974, et avec elle, le "Big Bang" médiatique. Valéry Giscard d'Estaing, accordéon sous le bras et "monopole du cœur" en bandoulière, ringardisait la solennité gaullienne pour inventer la politique-spectacle. Pour nous français ce fut le début d'une longue glissade : celle qui a transformé le verbe, jadis outil de construction nationale, en un simple produit de grande consommation.

L'ère du marketing : Quand l'image a dévoré le fond

Dans les années 80, sous l'influence des premiers "gourous" de la communication, la parole politique a cessé d'être une pensée pour devenir un slogan. On se souvient de la "Force Tranquille" de Mitterrand, un coup de génie marketing qui a prouvé que l'on pouvait gagner une élection sur une sensation plutôt que sur un programme. À cette époque, le débat télévisé était encore un duel de haute voltige. Aujourd'hui, on regarde en arrière avec une pointe de nostalgie, réalisant que derrière le vernis, la substance commençait déjà à s'évaporer au profit du "plan média".

La professionalisation du vide

La bascule des années 2000 a accéléré le mouvement. Sous Jacques Chirac puis Nicolas Sarkozy, la parole est devenue une arme de réaction immédiate. Finies les grandes envolées lyriques sur l'avenir du pays ; place à la "petite phrase", celle qui est calibrée pour le journal de 20 heures et qui meurt le lendemain matin. Nous sommes passés de l'homme d'État à ”l'homme de com”. C’est là qu'est né ce fameux "mode robot" évoqué par Clément Viktorovitch : une technique de défense où l'élu ne répond plus à la question, mais récite un script appris par cœur pour saturer l'espace sonore sans jamais s'engager.

Le naufrage numérique : 280 caractères pour ne rien dire

L'arrivée des réseaux sociaux a achevé de briser le contrat de confiance. On ne s'adresse plus au peuple, on flatte une "bulle de filtres". La complexité, qui était la fierté de nos salles de classe, est devenue l'ennemie jurée du tweet. En limitant la pensée à quelques dizaines de caractères ou à une vidéo TikTok de quinze secondes, on a réduit le citoyen à l'état de "follower".

C’est ici que le concept de logocratie prend tout son sens. Ce n'est plus la raison qui gouverne, mais la maîtrise du langage technique et la répétition obsessionnelle de mensonges officiels. Quand un gouvernement ment avec l'aplomb de l'État, il ne se contente pas de nous tromper ; il démolit les fondations mêmes de notre langage commun.

Conclusion : Retrouver le sens des mots

En 50 ans, nous sommes passés de la parole qui éclaire à la parole qui gère, puis à la parole qui sature. Si notre génération a un rôle à jouer sur la toile, c'est peut-être celui de gardiens de la sémantique. Ne laissons pas les "robots" du débat public confisquer le sens des mots. La colère que nous ressentons face à cette vacuité n'est pas de l'aigreur de retraité ; c'est le dernier sursaut de ceux qui savent encore qu'une phrase bien construite est le premier pas vers une vérité partagée.

 


 

Références majeures

Clément Viktorovitch, Logocratie, Éditions du Seuil, 2025. 

Histoire et analyse des débats présidentiels (1974-2022) : https://www.vie-publique.fr/fiches/268955-les-debats-televises-du-second-tour-de-lelection-presidentielle

Le Baromètre de la confiance politique (Sciences Po - Cevipof) : https://www.sciencespo.fr/cevipof/fr/content/le-barometre-de-la-confiance-politique.html

L'invention de la communication moderne avec VGE (Archive INA) : https://www.ina.fr/ina-eclaire-actu/valery-giscard-d-estaing-une-communication-moderne

Jacques Pilhan, le "maître des horloges" de la communication : https://www.radiofrance.fr/franceculture/podcasts/affaires-sensibles/jacques-pilhan-le-maitre-du-silence-7043813

 

 

 

Mardi 30 Décembre 2025

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