
Une école née dans la vertu
Créée en 1945 pour démocratiser l’accès à la haute fonction publique, l’ENA devait former des serviteurs de l’État au nom de l’intérêt général. Finie la République des avocats et des professeurs : place aux hauts fonctionnaires méritants, garants de la nation. Sur le papier, l’intention sentait encore la Résistance et la République sociale.
Une formation en or… payée par le contribuable
Former un énarque coûte cher : plus de 167 000 euros pour deux ans de scolarité, financés par la collectivité. En échange, ces futurs hauts fonctionnaires s’engagent dix ans au service de l’État. Mais leur carrière dure quarante-deux ans, suivis de vingt et un ans de retraite dorée, souvent mieux rémunérée que le Président de la République. Le contribuable, décidément, est un mécène bien généreux.
Que leur apprend-on vraiment ?
L’ENA se dit « école de service public ». En réalité, son programme ressemble à une école de commerce : management, communication, conduite de projets, restructurations… Tout ce qu’il faut pour transformer un service public en entreprise à privatiser. Les sciences humaines ? Absentes. La philosophie de l’intérêt général ? Un vague souvenir. On forme des gestionnaires efficaces, pas des penseurs de la République.
Le bal des pantoufleurs
Après quelques années dans l’administration, beaucoup d’énarques glissent vers le privé, surtout la finance, où les rémunérations se multiplient par dix. Puis certains reviennent dans la fonction publique, avec une belle « expérience » acquise chez Rothschild, BNP Paribas ou JP Morgan. Le résultat : des régulateurs issus des banques… et des banquiers devenus régulateurs. Conflits d’intérêts ? Allons, vous voyez le mal partout.
La casse organisée des services publics
France Télécom, La Poste, SNCF… Autant de joyaux transformés en machines à rentabilité. Derrière les sigles, des milliers de suppressions de postes, des conditions de travail dégradées, des suicides par dizaines. Les dirigeants, souvent énarques, mènent ces opérations avec un zèle particulier, vantant modernisation et compétitivité, tout en préparant tranquillement leur prochain poste dans le privé.
De l'État-providence à l’État-actionnaire
Ce basculement n’est pas un accident mais une mutation idéologique. Les énarques, hier missionnaires de la République, sont devenus mercenaires du capital mondialisé. L’intérêt général ? Dissous dans la novlangue managériale. À l’heure où l’Allemagne ou même les États-Unis savent préserver leurs industries stratégiques, la France liquide méthodiquement les siennes. Avec, à la manœuvre, ceux qui devaient les protéger.
En guise de chute
Louis XIV avait embastillé Fouquet pour avoir confondu affaires publiques et enrichissement personnel. Aujourd’hui, les énarques pantouflent entre Bercy et la City sans même rougir.
Comme le résume cruellement Jean-Michel Quatrepoint : « hier, les hauts fonctionnaires servaient la nation. Depuis les années 1990, la mondialisation a transformé les missionnaires en mercenaires ».
Ou, pour paraphraser Paul Valéry : « L’intérêt général est devenu une idée claire et distincte… que personne ne rencontre plus dans la pratique. »
Source :
Évelyne Perrin - Attac France
Sociologue,
Co Fondatrice des réseaux de lutte Stop précarité et Stop stress
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- l'article original d'Évelyne Perrin
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