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Sommaire
- Introduction : La Destruction d'une Révolution
- 1. L'Âge d'Or de la Démocratie Sociale (1945-1958)
- 2. Phase 1 : Le Grignotage Administratif et Politique (1958-1967)
- 3. Phase 2 : Le Grand "Hold-up" Financier et Légal (1990-1996)
- 4. Phase 3 : La « Tirelire » et l'Instrumentalisation Totale (Depuis 2004)
- Conclusion : Le Pacte Rompu et l'Échec du Contrôle Étatique
Introduction : La Destruction d'une Révolution
La Sécurité Sociale (SS), créée en 1945 sous l'impulsion du Conseil National de la Résistance (CNR), était bien plus qu'une administration. Elle était une révolution institutionnelle destinée à établir une "démocratie sociale" gérée par les travailleurs eux-mêmes, dans le but de libérer la population de "la peur du lendemain".
Aujourd'hui, cette institution est devenue méconnaissable. Ce rapport documente la thèse d'une "capture" progressive de la Sécurité Sociale par l'État français, un "hold-up" stratégique mené sur plusieurs décennies.
L'enjeu de ce transfert de pouvoir est colossal et facilement chiffrable :
- Les dépenses de la SS sont fixées à plus de 666 milliards d'euros (PLFSS 2025).
- Le Budget Général de l'État est fixé à 582,4 milliards d'euros (PLF 2025).
En s'arrogeant le contrôle du vote de ce budget, l'État a pris la main sur une masse financière supérieure à ses propres dépenses régaliennes. La Sécurité Sociale est devenue une simple "tirelire" que l'État administre, une variable d'ajustement de sa propre politique budgétaire.
1. L'Âge d'Or de la Démocratie Sociale (1945-1958)
À sa naissance, la SS n'appartenait pas à l'État, elle était une institution de droit privé gérée par la classe travailleuse.
Le Principe de la Gestion Ouvrière
Le point le plus radical du projet de 1945 était la "démocratie sociale". Les caisses devaient être gérées "par les intéressés eux-mêmes".
- Les conseils d'administration étaient composés à 75% de représentants des salariés et à 25% par ceux du patronat.
- Les premières élections sociales de 1947 confirmaient cette hégémonie ouvrière, assurant un quasi-monopole à la CGT dans la mise en œuvre du régime sur le terrain.
L'Indépendance Financière : La Cotisation
Cette autonomie politique reposait sur un pilier fondamental : l'autonomie financière par la cotisation sociale.
Contrairement à l'impôt, la cotisation était analysée comme un salaire différé (pour la retraite) ou mutualisé (pour la maladie). Ce mode de financement par répartition garantissait au budget de la SS de "ne pas dépendre des arbitrages budgétaires de l'État". L'autonomie financière était la condition nécessaire de l'autonomie politique.
2. Phase 1 : Le Grignotage Administratif et Politique (1958-1967)
Le "hold-up" a débuté par une reprise en main administrative, puis politique, vidant le projet de 1945 de sa substance.
1958 : La Première Brèche Administrative
L'instauration de la Ve République marque le début d'une méfiance de l'État envers cette institution qu'il ne contrôle pas.
- Les ordonnances Debré de 1958 permettent à l'État d'intervenir plus directement en instaurant la nomination des directeurs de caisses par l'exécutif.
- L'État place ainsi ses propres administrateurs, des "technocrates", au cœur exécutif d'un système qui ne lui appartenait pas, court-circuitant le pouvoir des conseils élus.
1967 : La Neutralisation par le Paritarisme
La deuxième étape décisive est franchie en 1967 avec les ordonnances Jeanneney, qui démantèlent l'architecture de 1945 en abandonnant la "démocratie sociale".
- Le principe de la gestion à 75% par les salariés est remplacé par le "paritarisme" (50% salariés, 50% patronat).
- Ce partage a neutralisé les partenaires : un conseil à $50/50$ ne peut que négocier, remplaçant le pouvoir de décision par un pouvoir de blocage mutuel. L'État se positionne alors comme l'arbitre indispensable.
- Pour parachever la reprise en main, les élections sociales sont supprimées et la caisse unique est divisée en quatre branches, appliquant l'adage "diviser pour régner".
À l'issue de 1967, le "hold-up" politique est achevé.
3. Phase 2 : Le Grand "Hold-up" Financier et Légal (1990-1996)
Si 1967 fut la capture politique, les années 1990 ont été le théâtre de la capture financière de la SS.
1991 : La Fiscalisation, Justification de l'Ingérence
Le cheval de Troie de la capture financière est l'instauration de la Contribution Sociale Généralisée (CSG) en 1991.
- Contrairement à la cotisation, la CSG est un impôt prélevé sur l'ensemble des revenus (y compris capital et pensions), et non uniquement sur le travail.
- Cette "fiscalisation du financement" a fourni la justification politique à l'intervention de l'État : si le financement est un impôt national, le seul organe légitime pour le contrôler et le voter est le Parlement.
1996 : La Prise de Contrôle Parlementaire
Le plan Juppé de 1995, transposé en 1996, parachève la prise de contrôle par la "parlementarisation".
- Instauration de la Loi de Financement de la Sécurité Sociale (LFSS) : Mesure centrale, elle transfère le pouvoir budgétaire des partenaires sociaux au Parlement, qui vote désormais annuellement les objectifs de dépenses et de recettes.
- Création de l'Ondam : L'Objectif National des Dépenses de l'Assurance Maladie instaure un plafond de dépenses voté par le Parlement, imposant une "logique comptable" qui inverse la logique originelle de "répondre aux besoins".
En 1996, l'autonomie budgétaire est tuée. La Sécurité Sociale est placée sous tutelle.
4. Phase 3 : La « Tirelire » et l'Instrumentalisation Totale (Depuis 2004)
La phase la plus récente est celle de l'instrumentalisation totale. La SS est devenue un outil de la politique de l'État.
L'Instrumentalisation Fiscale
L'État utilise le financement de la SS pour mener sa politique économique :
- Le Crédit d'Impôt pour la Compétitivité et l'Emploi (CICE), puis son remplacement par des allégements pérennes, a diminué activement les ressources de la Sécurité Sociale (les cotisations).
- Ces exonérations sont compensées par l'affectation d'impôts, ce qui renforce le "hold-up" en rendant le financement de la SS dépendant des arbitrages du Parlement et du budget de l'État.
L'Utilisation comme Variable d'Ajustement
- Crise des "Gilets Jaunes" : L'État a utilisé la trésorerie de la SS pour "payer" la paix sociale. La Prime Macron (PEPA) était totalement exonérée de cotisations sociales, privant la Sécurité Sociale de milliards d'euros de recettes (le coût est porté par le manque à gagner de la SS).
- Arme Législative : L'exemple le plus récent est l'utilisation de la LFSS rectificative comme "véhicule" législatif pour imposer la réforme des retraites de 2023. Cette méthode a permis de contourner le débat démocratique et l'avis des syndicats sur une réforme structurelle.
Conclusion : Le Pacte Rompu et l'Échec du Contrôle Étatique
Le "hold-up" est complet : l'institution est devenue une direction technique des ministères financiers, un outil de gestion de la dette et un instrument pour imposer des réformes impopulaires. L'État a détruit l'autonomie et la légitimité démocratique du système.
L'ironie finale est que cette prise de contrôle, justifiée par la nécessité de "maîtriser les dépenses", est un échec. Malgré le pilotage par la LFSS et l'Ondam, les déficits persistent.
- Le déficit de la Sécurité Sociale s'est aggravé, avec une prévision à 22,1 milliards d'euros en 2025.
- La Cour des Comptes a même conclu à une "perte de contrôle de la trajectoire des finances sociales".
L'État a conservé le pouvoir, mais a échoué à démontrer sa compétence. Le prix de ce "hold-up" est la destruction du pacte social et démocratique originel.
Sources et Références
Le contenu de cet article est basé sur l'analyse détaillée de l’article :






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