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Amiante, 100.000 morts et pas de responsables ?

PAR FRANÇOIS DESRIAUX DANS LE MONDE

dimanche 28 novembre 2004


Officiellement, la plus dramatique des catastrophes sanitaires que notre pays ait connues n’a aucun responsable. Selon les prévisions les plus pessimistes des épidémiologistes, 100 000 victimes au total, en France, devraient décéder d’un cancer provoqué par une exposition à l’amiante. Pourtant, à ce jour, personne n’a eu de comptes à rendre à la justice pénale.

Tous les experts qui ont enquêté sur l’affaire de l’amiante ont conclu que cette épidémie était évitable si les précautions qu’aurait dû dicter la connaissance des risques avaient été prises. Pourtant, les instructions de la vingtaine de plaintes déposées par les victimes et l’Andeva, il y a plus de huit ans, sont toujours au point mort.



Amiante, 100.000 morts et pas de responsables ?
Pour les victimes et leurs familles, ce déni de justice est vécu comme une deuxième mort. La société n’a rien fait pour les protéger ; aujourd’hui, elle leur refuse jusqu’au droit de savoir pourquoi et comment un drame d’une telle ampleur a pu survenir dans un pays évolué.

Certes, des milliers de personnes contaminées ont été indemnisées. C’était nécessaire, mais ce n’est pas suffisant. Comme dans l’affaire du sang contaminé, les victimes de l’amiante attendent un procès pénal de l’air contaminé. Tous ceux qui, de façon directe ou indirecte, ont participé à la réalisation de cette catastrophe, doivent s’expliquer, et toutes les leçons doivent être tirées. Si l’examen des faits montre que des fautes ont été commises, la justice doit les sanctionner conformément aux lois en vigueur dans un Etat de droit.

Or, dans le dossier de l’amiante, la liste des fautes caractérisées commises est longue.

Les premiers à avoir manqué gravement à leurs responsabilités sont les industriels de l’amiante. Dès 1971, craignant que les mesures réglementaires récemment prises en Grande-Bretagne et aux Etats-Unis pour protéger les populations face au risque amiante ne "contaminent" d’autres pays, les industriels vont s’organiser pour que la réglementation qu’ils pressentent soit la moins contraignante possible. Ils vont faire appel à des experts en relations publiques et en communication pour contrer les attaques venant du corps médical ou des épidémiologistes.

Les industriels français mettront en œuvre avec zèle cette stratégie et créeront, au début des années 1980, le sinistre Comité permanent amiante (CPA), qui n’aura de cesse de tromper l’opinion publique sur les dangers réels de ce matériau. Il parviendra même à retarder et à minimiser les mesures de prévention pourtant indispensables.

Les employeurs, également, ont commis de nombreuses fautes caractérisées. Si des mesures réglementaires spécifiques aux poussières d’amiante n’ont été promues qu’en 1977, il existait bel et bien depuis le début du XXe siècle une série de décrets protégeant les travailleurs de l’exposition aux poussières.

Des milliers de témoignages recueillis par l’Association nationale de défense des victimes de l’amiante (Andeva) montrent que dans certaines entreprises l’empoussièrement était tel qu’"on n’y voyait pas à 3 mètres", ou que "les bleus de travail étaient blancs de poussières d’amiante" ; ils confirment que les aspects les plus élémentaires de la réglementation n’y étaient pas appliqués.

Pourtant, il était prévisible que ces manquements à la réglementation allaient entraîner un grand nombre de pathologies graves. Celles-ci, en effet, étaient connues. Depuis la création d’un tableau de maladies professionnelles dues à l’amiante en 1945, aucun de ces employeurs ne peut sérieusement prétendre qu’il ignorait les risques.

Les pouvoirs publics, enfin, ont failli à leur mission de protection de la santé des populations, et notamment de celle des salariés. Plusieurs rapports officiels ont montré cette défaillance. Le Conseil d’Etat a sanctionné, en avril de cette année, les pouvoirs publics. La cour suprême de l’ordre administratif considère que l’Etat a agi avec retard par rapport aux connaissances sur les risques et qu’il ne s’est pas donné les moyens de mesurer l’application et l’efficacité des réglementations prises.

Un exemple est significatif de cette légèreté fautive de l’Etat. Préalablement au décret du 17 août 1977 sur la protection des travailleurs exposés aux poussières d’amiante, le ministère du travail a mené une série de consultations avec les partenaires sociaux.

Le procès-verbal de l’une de ces réunions indique que l’ingénieur en charge des questions de sécurité en milieu de travail au ministère a proposé de limiter la norme d’empoussièrement à 0,2 fibre/cm3 d’air pour la crocidolite - la variété la plus dangereuse d’amiante - et donc d’aligner la France sur la réglementation britannique adoptée... en 1969.

La réaction des représentants de l’industrie a été immédiate : pas question d’une norme aussi restrictive. C’est leur proposition d’une norme dix fois supérieure qui sera finalement retenue dans le décret, alors que le procès-verbal de la réunion mentionne qu’à ce niveau cette norme ne sera pas suffisante pour protéger les salariés exposés du mésothéliome, le redoutable cancer de la plèvre, spécifique d’une exposition à l’amiante.

Comment peut-on admettre que ceux qui ont participé à cette décision et à ce choix privilégiant les intérêts économiques au détriment de la santé publique n’aient pas à rendre de comptes à la justice pénale ?

C’est pour cet ensemble de raisons que les victimes de l’amiante et l’Andeva interpellent aujourd’hui le garde des sceaux et le président de la République. En effet, avec la loi Perben II, le ministre de la justice dispose d’un pouvoir renforcé sur le parquet. Il lui revient donc d’orienter la politique pénale en donnant des instructions claires aux procureurs généraux sur les poursuites à engager.

Dans le cas d’espèce, nous attendons de la chancellerie qu’elle ordonne l’ouverture d’informations judiciaires au vu des jugements intervenant dans les procédures d’indemnisation et montrant que des fautes ont été commises.

Cette politique aurait aussi des retombées positives en termes de prévention. Le non-respect de la réglementation en hygiène et sécurité du travail dans les entreprises s’apparente trop aujourd’hui à un sport national, comme l’était il n’y a pas si longtemps le non-respect du code de la route.

Enfin, il semble que sur les affaires de santé publique, magistrats du siège et du parquet s’abritent désormais derrière la loi Fauchon sur les délits non intentionnels pour ne pas poursuivre. C’est le cas à Dunkerque avec le non-lieu - contestable - prononcé récemment sur une affaire d’amiante. Comme les associations de victimes le craignaient en juillet 2000, au moment de son vote, il se confirme que ce texte, ou son interprétation, entraîne une immunité pénale des responsables et des décideurs.

Cette irresponsabilité est dangereuse pour la prévention et la santé publique, et ce texte doit être revu.

François Desriaux, président de l’association nationale de défense des victimes de l’amiante (Andeva). Article publié dans Le Monde.

Lundi 13 Décembre 2004

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