
Aux origines d'un poème engagé
L'histoire de "Strange Fruit" commence non pas en musique, mais sous la forme d'un poème. En 1937, Abel Meeropol, un enseignant juif new-yorkais et militant communiste, est horrifié par une photographie tristement célèbre montrant le lynchage de Thomas Shipp et Abram Smith dans l'Indiana. Profondément choqué par cette violence raciste, il écrit un poème intitulé "Bitter Fruit".
Meeropol, sous le pseudonyme de Lewis Allan, met ensuite son poème en musique. La chanson est d'abord interprétée dans des cercles militants et des réunions syndicales à New York.
Billie Holiday : la voix qui a révélé "Strange Fruit" au monde
C'est la légendaire chanteuse de jazz Billie Holiday qui va donner à "Strange Fruit" sa portée universelle et sa puissance émotionnelle. En 1939, elle l'interprète pour la première fois au Café Society, un club new-yorkais progressiste et l'un des rares endroits où Blancs et Noirs pouvaient se côtoyer.
L'interprétation de Billie Holiday est d'une intensité rare. Elle la chante souvent en fin de concert, dans une salle plongée dans l'obscurité, un unique projecteur braqué sur son visage. Sa voix, chargée d'une douleur et d'une dignité poignantes, transforme la chanson en une expérience viscérale pour le public. "Strange Fruit" devient rapidement sa signature, mais aussi une source de controverses. De nombreuses stations de radio refusent de la diffuser, et elle est souvent la cible de menaces. Malgré cela, la chanson devient un hymne du mouvement des droits civiques naissant.
La signification des paroles
Les paroles de "Strange Fruit" sont une métaphore saisissante et macabre. Les "fruits étranges" qui pendent aux arbres du Sud sont en réalité les corps des Noirs lynchés.
Les principaux interprètes
Si Billie Holiday reste l'interprète la plus emblématique de "Strange Fruit",
Billie Holiday & Her Orchestra - Strange Fruit (Audio) :
De nombreux autres artistes ont repris cette chanson puissante, chacun y apportant sa propre sensibilité. Parmi les plus notables, on peut citer :
Nina Simone : Connue pour son engagement politique et sa voix profonde, Nina Simone a livré des versions tout aussi déchirantes de la chanson.
Jeff Buckley : Sa version, empreinte d'une fragilité et d'une intensité brute, a touché une nouvelle génération.
UB40 : Le groupe de reggae a également proposé sa lecture de ce texte intemporel.
Colette Magny : La chanteuse française engagée a également offert une interprétation marquante de "Strange Fruit" sur son album injustement méconnu,"Blues", apportant une touche francophone poignante à cet hymne.
Beth Hart : Beth Hart, née le 24 janvier 1972, compositrice, chanteuse, pianiste et guitariste américaine qui rappelle fortement Etta James et Janis Joplin. Je vous conseille son album “Don’t explain” avec Joe Bonamassa. Je n’en suis jamais revenu.
Sting, Annie Lennox et bien d'autres ont également contribué à maintenir vivante la mémoire de cette chanson essentielle.
N.D.L.R : Pour moi, la meilleure interprétation, vocalement et musicalement pour l’accompagnement du guitariste Bonamassa et de son orchestre, c’est celle de Beth Hart. Juste devant celle de … Colette Magny dans son album “américain” Blues. C’est autre chose que son fameux Melocoton, qui l’a rendu célèbre . La plus décevante étant celle de Billie Holliday : on dirait vraiment qu’elle ne comprend pas ce qu’elle chante.
Un héritage toujours pertinent
Plus de 80 ans après sa création, "Strange Fruit" n'a rien perdu de sa force ni de sa pertinence. Elle demeure un rappel glaçant des horreurs du racisme et un appel à la vigilance contre toutes les formes d'injustice.
La chanson a été intronisée au Grammy Hall of Fame et désignée comme "chanson du siècle" par le magazine Time en 1999. Elle continue d'être étudiée et interprétée, témoignant de la puissance de l'art pour dénoncer l'indicible et inspirer le changement.
Strange Fruit est bien plus qu'une chanson ; c'est un héritage, un avertissement et un symbole éternel de la lutte pour la dignité humaine.