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«L'avenir n'est plus ce qu'il était» [Paul Valéry]



L’Europe 'rempart contre la mondialisation ultralibérale' : quand cessera cette hypocrisie ?


lundi 18 avril 2005
dans Le Monde



JACQUES CHIRAC a remis ça, jeudi soir sur TF1. La Constitution est le moyen de lutter contre "la mondialisation portée par un courant ultralibéral", a dit le chef de l’Etat. Le texte a " une logique non libérale", a-t-il ajouté.

Revoici donc l’idée du "rempart" contre l’évolution du monde. "Les Françaises et les Français sont inquiets de cette mondialisation qui se fait au profit des plus forts." Mais, comme la France est devenue trop petite pour défendre "ses valeurs", repoussons les protections au niveau du "grand ensemble" européen.

L’emploi de cet argument du " rempart" est une grave erreur - parce qu’il s’est retourné aujourd’hui en faveur du non - et d’une immense hypocrisie. Bref, pour reprendre un mot du même Jacques Chirac, "c’est une connerie".

PAIN BÉNIT POUR LE NON

Le chef de l’Etat a d’ailleurs fait lui-même, et immédiatement, la démonstration de la faiblesse de son raisonnement puisqu’il agite le Satan libéral qui " inquiète" et passe toute la soirée à regretter que " les Français aient peur". Même contradiction sur l’Europe politique qui doit tenir sous le boisseau l’Europe économique (libérale) mais qui ne doit surtout pas "empiéter sur l’autorité des Etats". Comprenne qui pourra...

Autrement dit, sur les deux grandes évolutions du monde que décrit (ici très justement) le chef de l’Etat, la mondialisation et la géopolitique des " vastes ensembles", il dit d’emblée son indétermination fondamentale, son balancement permanent, son "j’y vais à reculons". Libéralisme et fédéralisme, monde et Europe, Jacques Chirac n’a pas les idées claires. La France non plus. C’est tout le problème, et de l’un et de l’autre. On n’en sort pas.

Revenons au "rempart", argument reflet de cette indécision. Remarquons d’abord que l’utiliser est, dès le départ, se placer sur le terrain des opposants à la Constitution, puisque c’est vanter l’idée qu’il faut une protection contre la néfaste évolution du monde. Pain bénit pour les "anti" qui n’ont aucun mal à montrer que ladite protection ne fonctionne pas et que, pis, l’Europe est devenue le fourrier du libéralisme. Bolkestein ! Bolkestein ! Le mur contre l’ultralibéralisme est percé de toutes parts.

En 1992, lors du référendum sur le traité de Maastricht, François Mitterrand avait déjà utilisé l’argument du rempart. L’euro allait servir à protéger l’économie européenne des fluctuations heurtées des Etats-Unis. L’eurozone allait gagner une autonomie et un dynamisme. On sait ce qu’il est advenu : non seulement l’Union est restée complètement soumise à la conjoncture américaine, montant et descendant au gré du vent d’ouest, mais l’eurozone s’est ensablée dans la semi-stagnation. Elle a perdu deux points de croissance vis-à-vis des Etats-Unis.

L’euro devait aussi servir à accélérer l’avènement d’une Europe politique. Il n’en a rien été non plus. Ayant perdu toute crédibilité, l’idée du rempart sert aujourd’hui la cause anticonstitutionnelle sur le thème : "Vous voyez bien que cette Europe-rempart ne marche pas !"

A cette erreur s’ajoute une lâche hypocrisie. Car, si les gouvernements français avancent officiellement l’idée que l’Europe va nous "protéger", la vérité est qu’ils espèrent en secret qu’elle va nous bousculer, nous forcer à faire ces "réformes" qu’ils savent nécessaires mais que l’opinion publique refuse.

PÈRE FOUETTARD

Comme les pays mal gouvernés qui voient leur sort confié au Fonds monétaire international, la France a cédé à Bruxelles "sa politique d’ajustement structurel", note l’économiste Jean Pisani-Ferry, directeur de l’institut de recherches Bruegel (L’Europe déclassée, En temps réel, Flammarion). Sans courage, les hommes politiques de gauche et de droite font de l’Europe le père Fouettard qui impose la rigueur, la concurrence, la libéralisation, la privatisation. Les directions des sociétés nationalisées de services publics font de même : ils avouent tous en privé que Bruxelles leur sert d’indispensable aiguillon "pour faire bouger les syndicats".

Cette piètre tactique de défausse a fini par se retourner elle aussi contre elle-même. Non seulement, elle ne parvient plus à faire avancer les réformes : celle (très partielle) des retraites a été la seule et, sans doute, la dernière de M. Chirac avant 2007. Il lui aura fallu deux ans et demi pour autoriser l’augmentation des heures supplémentaires bloquées par les 35 heures ! Mais, surtout, les Français qui hier aimaient l’Europe, la redoutent aujourd’hui. D’espoir, elle est devenue menace.

Par ce déni de la démocratie, de votre faute Monsieur Chirac, l’Union n’est plus vue comme "faisant la force" mais comme poussant au dumping vers le bas. L’adhésion à la construction européenne s’est défaite. Si les Français votent non le 29 mai, la responsabilité vous en incombera directement. A vous, aux Jospin, aux Raffarin et aux Hollande, à tous ceux du oui qui entretiennent la confusion, depuis vingt ans, entre les responsabilités nationales et communautaires. Il leur faudrait changer du tout au tout. Dire d’abord que la mondialisation n’est pas le mal. Elle a des travers mais engendre une forte croissance mondiale qui sort de la misère des milliards d’êtres humains, notamment les affamés chinois et indiens. Les Français devraient s’en réjouir. Pour ne pas en souffrir, il faut non pas "se protéger" mais "s’adapter". Maître-mot dont tous les autres pays ont fait leur axe stratégique.

IMMOBILISME

Que peut l’Europe ? Tant que son niveau de fédéralisme est si faible (un budget limité à 1% du PIB des Vingt-Cinq), peu de chose. Dans ce cadre, le chômage et la précarité en France ne relèvent pas de la politique de Bruxelles mais de celle, aveugle, de Paris. Nos malheurs sont de notre faute. Notre modèle social n’est rongé que par l’immobilisme prôné par les partisans du non. La Suède, qui a su se réformer, le démontre.

Si l’Europe se dotait de plus de moyens fédéraux, elle pourrait mieux contribuer à la croissance et à l’emploi. Mais tant que les gouvernants, dont M. Chirac, refusent, elle ne peut stimuler que ce qu’on lui demande : les marchés et la concurrence. Et trouer les remparts.

Eric Le Boucher, dans Le Monde



Samedi 23 Avril 2005

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