Adieu le binaire ? L'incroyable pari de Huawei en particulier et des Chinois en général pour rendre le silicium occidental obsolète
Quand la sanction devient un accélérateur d'innovation
L'argument central de cette analyse repose sur un constat simple : les sanctions américaines ont coupé l'accès de la Chine aux technologies de gravure les plus fines et aux machines occidentales indispensables pour les produire. Plutôt que de s'acharner sur un terrain où elle est structurellement désavantagée, Huawei semble avoir choisi de contourner le problème par une rupture architecturale radicale.
Là où le monde entier utilise le binaire, c'est-à-dire une succession de zéro et de un, Huawei et l'Académie chinoise des Sciences travaillent sur une logique ternaire "équilibrée", qui introduit un troisième état d'information.
Pour comprendre l'enjeu, imaginez une autoroute. Au lieu d'essayer désespérément de faire rouler les voitures plus vite sur deux voies, ce qui correspond à l'approche binaire actuelle, la logique ternaire ajoute une troisième voie. Cela permet de transporter beaucoup plus d'informations sur la même surface de silicium.
Concrètement, cela signifie qu'un processeur gravé avec des technologies moins avancées, donc accessibles à la Chine, pourrait théoriquement rivaliser, voire surpasser, les performances des puces occidentales les plus fines, notamment pour les calculs complexes d'intelligence artificielle.
Une vieille idée soviétique remise au goût du jour
Il est important de rappeler que cette "logique ternaire" n'est pas une invention ex nihilo. C'est un véritable serpent de mer de l'histoire informatique.
Dès 1958, les Soviétiques avaient conçu l'ordinateur "Setun" à l'Université de Moscou. Cette machine était moins chère, plus fiable et consommait moins d'électricité que ses concurrents binaires de l'époque.
Pourquoi le binaire a-t-il gagné la guerre historique ? Uniquement pour des raisons industrielles. Un transistor "ouvert/fermé" était plus simple à fabriquer en masse. Mais aujourd'hui, le contexte a changé. Huawei a déposé plusieurs brevets récents décrivant des circuits logiques ternaires, prouvant qu'ils investissent massivement sur ce sujet. Ce qui était une curiosité de laboratoire devient, sous la pression géopolitique, une voie de survie et de conquête.
L'hypothèse de l'avance cachée
Cependant, il ne faut pas s'y tromper : il ne s'agit peut-être plus seulement de théorie. Si Huawei a réussi récemment à produire des smartphones aux performances étonnantes malgré les embargos, c'est peut-être parce que le "renversement" a déjà commencé.
L'hypothèse la plus crédible est celle d'une architecture hybride. Il est fort possible que Huawei n'ait pas encore remplacé le cœur central de ses processeurs, mais qu'ils aient déjà intégré la logique ternaire dans les coprocesseurs, ces zones dédiées à l'intelligence artificielle et au traitement de l'image.
Cela expliquerait pourquoi leurs appareils restent si performants en photo et en calcul neuronal malgré une gravure officiellement moins fine que celle des Américains.
De plus, la Chine possède un atout que l'Occident n'a pas : une capacité d'intégration verticale totale. Avec le lancement récent d'HarmonyOS Next, qui coupe définitivement les ponts avec les applications Android, Huawei force son écosystème à s'adapter. En obligeant les développeurs à utiliser ses propres outils, l'entreprise prépare le terrain logiciel pour une architecture qui ne serait plus strictement binaire.
Le piège de l'analyse occidentale : et si la Chine avait déjà changé de jeu ?
Il est temps de poser la question qui fâche.
Depuis des années, les experts occidentaux scrutent les progrès de la Chine avec une seule grille de lecture : celle du retard. On compte les nanomètres, on analyse les rendements des usines et on se rassure en se disant que sans les machines de pointe occidentales, l'Empire du Milieu restera toujours un pas derrière. C'est peut-être l'erreur d'appréciation la plus lourde de ce siècle.
L'hypothèse ternaire suggère que Huawei ne cherche pas à courir plus vite sur une piste que les Américains ont balisée, mais qu'ils sont en train de construire un tout nouveau stade à côté. Si cette technologie est déjà, comme c'est probable, partiellement intégrée dans leurs puces via des coprocesseurs neuronaux, alors les sanctions n'ont pas été un frein, mais un formidable accélérateur de darwinisme technologique.
Avec le déploiement d'HarmonyOS Next, Huawei a verrouillé la dernière pièce du puzzle : la maîtrise logicielle totale. La Chine ne cherche plus à rattraper le train du binaire qui arrive en bout de course physique. Elle est très probablement déjà en train de poser les rails du train suivant. La véritable innovation de rupture est souvent invisible jusqu'au moment où elle devient la norme ; et quand l'Occident réalisera que la règle du jeu a changé, il sera peut-être trop tard pour espérer gagner la partie.
L'analyse critique de Gemini 3.0
Attention à ne pas confondre "brevet" et "processeur dans votre poche". Voici les obstacles réels :
* Le problème du bruit (Interférences) : Plus on grave petit (nanomètres), plus le signal électrique est instable. Ajouter un 3e état sur des puces microscopiques est un cauchemar physique. Huawei doit utiliser des matériaux exotiques ou des designs très complexes pour éviter les erreurs de calcul.
* Le mur logiciel : C'est le point bloquant majeur. Windows, Linux, Android, les langages C++, Python, Java... absolument, tout est construit sur le binaire.
* Pour que cela fonctionne, il ne suffit pas de créer une puce. Il faut réécrire les compilateurs, les systèmes d'exploitation et les logiciels. C'est un travail titanesque qui prendrait des décennies dans un contexte normal.
Conclusion : Coup de bluff ou génie ?
C'est probablement une stratégie de "Moonshot" (viser la lune).
Huawei sait qu'ils ne peuvent plus gagner la course aux nanomètres contre TSMC et les USA avec les règles actuelles (binaire + lithographie EUV). Ils sont bloqués. Leur seule chance de reprendre le leadership n'est pas de courir plus vite, mais de changer de chemin.
* Est-ce prêt ? Non, pas pour le grand public. N.D.L.R : sauf en chine ! Et, la Chine, c’est un marché de un milliard et demi d’individus, donc de bêta-testeurs pas chers.
* Est-ce crédible ? Pour des applications de niche, oui.
Ils pourraient très bien lancer des accélérateurs IA ternaires dans des datacenters chinois (où le logiciel est maîtrisé en interne) pour gagner en efficacité énergétique, sans avoir besoin de remplacer les PC de Monsieur Tout-le-Monde. N.D.L.R Harmony OSNext est déjà sur tous les ordinateurs et smartphones chinois. Dans le dernier Matefold Ultra (voir mon récent article) j’ai vu de mes yeux, lors d’un test espagnol de cette machine, que l’on pouvait passer, avec un simple swap, d’Harmony à … Windows !
C'est moins une "technologie miracle" immédiate qu'une assurance vie stratégique : si le binaire atteint ses limites physiques (ce qui est proche), la Chine veut être la seule à posséder la clé de l'étape suivante.
N.D.L.R : je suis persuadé que c’est déjà le cas en Chine et que l’objectif est déjà de prendre des parts de marché dans le reste du monde. Ce sera plus long et plus difficile qu'en Chine, où la dictature facilite bien des choses, mais, quand les geeks et surtout les investisseurs auront compris tous les avantages de la logique ternaire, cela ne manquera pas de se faire.
Une preuve supplémentaire, s'il en était besoin, que la Chine, dans ce domaine comme dans beaucoup d'autres, est en train de surpasser les Etats-Unis.
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