Jusqu’ici, chaque substance active devait être réévaluée tous les 10 à 15 ans, avec obligation pour les industriels de fournir des données récentes sur la toxicité. Ce simple garde‑fou a permis le retrait de molécules reconnues dangereuses, même après des années d’atermoiements réglementaires.
Avec l’Omnibus, Bruxelles propose des autorisations… sans limite de durée pour la majorité des pesticides et biocides. Les réévaluations ne seraient plus systématiques, mais déclenchées « uniquement lorsqu’il existe des raisons scientifiques de le faire », autrement dit quand le doute n’est plus raisonnable mais massif.
La fabrique organisée de l’ignorance
Ce basculement arrive après des décennies de stratégie rodée des lobbies : produire du doute, attaquer les études indépendantes, saturer les agences d’expertises favorables et retarder chaque interdiction de molécules rentables. Le sociologue Jean‑Noël Jouzel le rappelle : la dangerosité des pesticides n’est plus une hypothèse militante, mais un constat épidémiologique documenté (Parkinson, cancers du sang, troubles de la fertilité, etc.).
Le problème n’est pas seulement ce que l’on sait, mais ce que l’on choisit d’ignorer : l’« effet cocktail », l’exposition chronique de toute la population, la contamination diffuse de l’eau, des sols, des corps. En renonçant à réévaluer régulièrement les substances, l’UE grave dans le marbre l’idée que l’ignorance organisée est un modèle de gouvernance acceptable.
Quand la « simplification » sert de paravent
Sur le papier, tout est parfaitement raisonnable : il s’agit de « réduire les charges réglementaires inutiles » et de « rationaliser » des procédures jugées trop lourdes pour l’EFSA et les États membres. À la clé, des centaines de millions d’euros « économisés » pour les entreprises et les administrations, selon la Commission.
Dans la vraie vie, cette simplification consiste à affaiblir les garde‑fous qui protégeaient (mal, mais un peu) les citoyens et la biodiversité. On double même les délais pendant lesquels des pesticides hautement toxiques peuvent continuer à être vendus après leur interdiction, passant d’environ 18 mois à 3 ans : pratique quand on veut écouler les stocks jusqu’à la dernière goutte.
Une réforme que personne ne demandait (sauf les lobbies)
Ce paquet Omnibus n’a pas été réclamé par les citoyens, ni par les scientifiques, ni même par les agences sanitaires qui manquent surtout de moyens, pas de contraintes. En revanche, il tombe à pic pour une industrie inquiète de voir son catalogue se réduire, ses marges menacées et ses molécules vedettes contestées devant les tribunaux.
ONG, collectifs de scientifiques et associations paysannes dénoncent une attaque frontale contre des décennies de protections déjà insuffisantes. Plus de cent organisations demandent désormais au Parlement européen et aux États membres d’enterrer ce texte ou de le réécrire en profondeur.
Un test politique pour l’Europe
L’Omnibus arrive dans un moment politique où l’extrême droite progresse et où le centre‑droit rachète la paix sociale agraire à coups de concessions environnementales. Dans ce contexte, sacrifier la santé publique sur l’autel de la « compétitivité » devient une tentation aussi cynique que prévisible.environment.
Le plus explosif n’est pas seulement la portée sanitaire de cette réforme, mais ce qu’elle dit du contrat social européen : quand les connaissances scientifiques dérangent, on n’en tire plus des normes plus protectrices, on change les règles du jeu pour qu’elles cessent d’être gênantes. Reste à voir si les élus accepteront d’assumer, en pleine lumière, d’avoir offert aux lobbies phytosanitaires ce que même ces derniers n’osaient pas réclamer aussi franchement : le droit d’empoisonner à durée illimitée.
Sources :
https://www.youtube.com/watch?v=kewS8UlQe6A
https://www.youtube.com/watch?v=lJoO8hWWC3U
https://www.foodwatch.org/en/pesticides-gmos-bse-eu-omnibus-law-endangers-consumers
https://natlawreview.com/article/publication-environmental-omnibus-european-commission
https://www.foodwatch.org/en/omnibus-on-food-safety-checks-for-pesticides-under-attack