Les joies du tribunal

Mais oui ! On peu parfois s'amuser dans un tribunal. C'est le cas du procès en diffamation intenté par Pierre Perret Le Nouvel Observateur qui dans un article paru en janvier 2009 assurait que Perret mentait lorsqu'il assurait, dans un livre, avoir bien connu l'écrivain Paul Léautaud.



Procès Perret-Nouvel Obs, second round

Par Jérôme Dupuis, publié le 24/03/2011 à 10:00

http://www.lexpress.fr

Au menu de cette deuxième journée du procès Perret, un nostalgique du PCF, un cinéaste léautaldien, un spécialiste de Rimbaud, et un fameux chroniqueur duNouvel Obs venu faire "le cornichon". Epilogue le 13 mai prochain.

Un amateur d'aphorismes dadaïstes se serait régalé, hier après-midi, sous les ors de la XVIIème chambre correctionnelle de Paris, qui jugeait, pour la deuxième journée (retrouvez la première), le différend qui oppose Pierre Perret au Nouvel Observateur. Petit florilège (non exhaustif) des propos proférés à la barre. Menaçant : "Il ne faut pas toucher à la moustache de Georges Brassens." Inquiet : "Bientôt, en France, il y aura des écoles Carla Bruni." Blasé : "D'habitude, les gens me disent qu'ils ont couché avec Brigitte Bardot." Ou même quasiment gore : "Vous imaginez Paul Léautaud devant Line Renaud, à Bobino ?!"

On l'a compris, cette deuxième audience, longue de huit ( !) heures, a tenu toutes ses promesses. On a continué à ergoter sans fin sur les visites - contestées par le Nouvel Obs - de Perret chez Léautaud, à Fontenay-aux-Roses. Etait-ce à l'été 1954 ? Fin 1953 ? Perret emmenait-il sa guitare avec lui ? Léautaud fréquentait-il une pâtisserie de la rive gauche ? Ou de la rive droite ? Sans oublier, bien sûr, le désormais "grand classique" de la XVIIème : le portail du pavillon de l'écrivain était-il en bois ou en métal ? (Et, pour les plus pointus dans la salle : était-il rouillé ou non ?)

Il faut bien l'avouer, la majorité des témoins cités par l'hebdomadaire n'ont pas vraiment contribué à éclaircir les choses. Voilà Pierre Schuller qui s'avance à la barre. "Retraité de la Mutualité agricole du Lot-et-Garonne et président d'Auprès de son arbre, association d'amis de Brassens", décline-t-il de son accent chantant. Il vante avec tant d'enthousiasme les mérites de son association, que l'on s'attend à chaque instant à le voir proposer une carte d'adhérent au président du tribunal.

C'est lui qui n'aime pas que l'on tire les moustaches du grand Georges. Et Perret aurait tiré un peu trop fort, à l'en croire. Mais puisqu'il a fait le voyage depuis Agen pour éclairer le tribunal, Pierre Schuller en profite pour divaguer sur divers sujets : "Ah !, je regrette bien le temps du PCF !" Ou encore : "Je déteste le Front National." A telle enseigne que le président Boyer, avec le sens de l'à propos caustique qui le caractérise, lui demande : "Peut-être souhaitez-vous aussi nous livrer votre commentaire sur les dernières cantonales ?" Non. Mais tout de même un dernier missile à destination de Perret, avant de redescendre dans le sud-ouest : "Georges Brassens, c'est monsieur Georges Brassens. Mais Perret, ce n'est que Perret..."

Après le retraité agricole, le cinéaste parisien. Pascal Thomas - réalisateur des merveilleux Zozos- s'avance, un lourd sac en plastique à la main, qui pèse comme une menace. C'est lui qui a l'habitude de voir des "ex" de Bardot partout. "Perret, lui, c'est Léautaud. C'est une autre forme de mythomanie", attaque-t-il. Fort de sa belle collection d'autographes léautaldiens - il possède notamment le manuscrit d'In Memoriam -, le réalisateur commence par mettre en doute l'authenticité de la fameuse dédicace que Léautaud a faite à Perret, le 26 août 1954. "L'écriture est bien vigoureuse, pour 1954", insinue-t-il. Stupeur ! Perret le fusille du regard. Branle-bas de combat sur le banc de ses avocats. Alors, on exhume une nouvelle fois la précieuse relique et on la met sous les yeux du cinéaste. Là, légère machine arrière : "Mouis, ça pourrait bien être de la main de Léautaud."

Et de sortir quelques volumes reliés de son sac, avec d'autres dédicaces de l'ermite de Fontenay-aux-Roses. Voilà les juges du tribunal sommés de se muer en graphologues... Et pour que la fête soit complète, Perret, à son tour, dégaine une nouvelle page manuscrite de Léautaud, que ce dernier avait, dit-il, glissé dans le fameux livre de Stendhal offert à son jeune visiteur. Nouveau décryptage. Y-a-t-il une date sur le document ? Non. Mais le chanteur n'avait-il pas dit un jour qu'il s'agissait d'une page de 1923 ? Si. Alors ? Alors, on s'y perd un peu...

C'est justement le moment que choisit Sophie Delassein, la journaliste du Nouvel Observateur poursuivie par Pierre Perret, pour demander la parole et lâcher nonchalamment à la barre : "On ergote encore. J'aurais préféré aller fumer une cigarette dehors, moi..." Mauvaise inspiration. Le président, d'ordinaire si policé, hausse le ton : "Je vous demanderais un peu de tenue, madame."

Le témoin suivant n'en manque pas, de tenue. Faux airs d'Emile Zola, Jean-Jacques Lefrère va momentanément introduire un peu de sérénité dans les débats. Professeur de médecine et historien littéraire réputé - on lui doit la biographie de référence de Rimbaud -, il raconte qu'il a été amené à s'intéresser à l'affaire par passion et à lui consacrer une longue étude dans la très sérieuse Revue des deux mondes - à laquelle Perret répond d'ailleurs dans le numéro d'avril. Lui n'a guère de doutes sur l'authenticité de la dédicace, mais pointe un certain nombre d'incohérences dans les récits successifs de Pierre Perret. Incohérences de dates, surtout, dont le chanteur a d'ailleurs convenu dès hier. Incohérences des différentes versions entre elles, également. Et, comme toujours, on finit sur le grandrunning gag du portail de Léautaud. Ce qui nous vaut cet aveu faussement contrit du professeur Lefrère : "Monsieur le président, je dois vous confesser une chose : je ne suis pas un spécialiste des portails de Fontenay-aux-Roses."

Témoin suivant ! Delfeil de Ton, chroniqueur acide du Nouvel Obset grand amoureux de Léautaud. Il profère les pires horreurs sur Perret en les ponctuant à chaque fois d'un rire tonitruant, sorte d'hommage inconscient aux célèbres "Ohohohoho !" hilares de l'écrivain lors de ses fameux entretiens radiodiffusées de 1951. Lui, ce serait plutôt "Ahahahah !"

"Mais tout le monde sait que Perret a tout inventé, enfin ! Ahahaha ! Tout ça ne tient pas la route ! Ahahaha !" Une promenade à Paris avec Léautaud ? Impensable ! Ahahahah ! C'est lui qui n'imagine pas non plus un instant Léautaud devant Line Renaud à Bobino. Vous pensez, ahahahaha !

Me Szpiner, l'avocat de Perret, se lève, l'air gourmand : "Monsieur Delfeil de Ton, permettez-moi de vous lire un texte." Et de commencer : "Perret avait 20 ans. Il s'est présenté le 26 août 1954 exactement chez Paul Léautaud, (...) lequel le reçu une fois, deux fois, une dizaine de fois, l'accompagne dans les librairies du Quartier latin..." Et l'auteur de ce texte de narrer, toujours sur un ton bienveillant, la sortie de l'écrivain à Bobino pour voir Line Renaud, etc.

- Qui a écrit ça ?, demande, presque dégoûté, Delfeil de Ton.

- Vous !, tonne Me Szpiner. Dans Le Nouvel Observateur, en 1987 !

Cette fois-ci, c'est la salle qui s'esclaffe.

Delfeil n'a plus qu'à se rasseoir, dépité : "Ah, si j'avais su, je ne serais pas venu ici faire le cornichon..."

Et pour clore ce défilé haut en couleurs, un ancien copain de régiment de Perret, ténor de profession. Mais c'est d'une voix douce qu'il raconte comment son ami le bassinait à l'époque avec "un certain Paul Léautaud", à qui il rendait visite de temps en temps.

L'ombre de l'ermite de Fontenay-aux-Roses aura donc plané sur ces deux jours de débats tendus. Et ce ne sont pas les plaidoiries des avocats qui ont allégé une atmosphère où a percé, au sein de la grande famille de la chanson française, un certain mépris à l'endroit de l'auteur des Colonies de vacances. "Une entreprise de démolition !", a accusé Me Szpiner, ne résistant pas au plaisir de lire une lettre que le patron du Nouvel Observateur, Denis Olivennes, lui-aussi poursuivi dans cette affaire, avait écrite à Pierre Perret après la sortie de l'article incriminé : "Je suis absolument et profondément attristé par cette mésaventure", commençait-il...

Après une gracieuseté - dispensable - sur la manière "bovine" dont Jérôme Garcin, rédacteur en chef de Sophie Delassein, mâchait son chewing-gum au fond de la salle, l'avocat pilonne la journaliste : "Vous êtes un tueur à gages en jupons ! C'est le degré zéro du journalisme !"

Réconforté par les réquisitions plutôt douces de la substitut du procureur, Me Didier Leick, avocat de l'hebdomadaire, sera à peine moins virulent : "Monsieur Perret a toujours la prétention paraître ce qu'il n'est pas ! Comment Brassens pourrait-il être jaloux de quelqu'un qui joue en troisième division de chanson française ?" Le chanteur se retourne, effaré, vers ses avocats : "Il a le droit de dire ça ?!"

Réponse le 13 mai, date où le jugement sera prononcé. Et l'on quitte la salle du tribunal, à plus de 21 heures, un peu sonné, une interrogation lancinante en tête : mais alors, en bois ou en métal ?

Vendredi 25 Mars 2011
Lu 1291 fois