Le "trou de la Sécu" : un mythe bien entretenu … et bien pratique comme instrument de dissimulation.
Chaque automne, c'est le retour du "marronnier" médiatique : le fameux "trou de la Sécu". Les chiffres sont annoncés, souvent avec gravité, pour justifier de futures réformes. Pour 2024 et 2025, on nous parle d'un déficit oscillant entre 15 et 22 milliards d'euros.
Si ce chiffre peut sembler colossal, une analyse plus fine, comme celle proposée par des médias tels qu'Alternatives économiques, révèle une réalité bien différente. Le débat public se concentre sur ce déficit tout en ignorant deux faits majeurs : la taille réelle de ce "trou" rapportée aux dépenses totales, et surtout, la responsabilité écrasante de l'État dans cette situation financière.
Un déficit minime à l'échelle du budget
Le premier point à souligner est la nécessaire mise en perspective. La Sécurité sociale n'est pas une petite entreprise. Les recettes de l'ensemble des régimes de base de la Sécurité sociale s'élevaient à plus de 620 milliards d'euros en 2024.
Rapportons maintenant le déficit annoncé à ce chiffre. Un déficit de 15 milliards d'euros ne représente, en réalité, qu'environ 2,4 % du budget global. Parler d'un "trou" béant ou d'une faillite imminente relève donc plus de la dramatisation politique que de l'analyse comptable. Peu d'organisations de cette taille peuvent se prévaloir d'une telle quasi-stabilité. Et surtout pas l'État français avec ses 3 300 milliards de dette publique. Ce déficit, bien que réel, est parfaitement gérable.
L'État, premier responsable du déficit
La véritable question n'est pas de savoir s'il manque 15 milliards, mais pourquoi ils manquent. Et sur ce point, la réponse est claire : le déficit n'est pas le résultat d'une explosion "naturelle" des dépenses, mais d'une politique délibérée de l'État.
Depuis des décennies, les gouvernements successifs utilisent la Sécurité sociale comme une tirelire pour financer leurs propres politiques de l'emploi. L'outil principal de cette stratégie est l'exonération des cotisations patronales.
Ces exonérations, accordées aux entreprises sans véritables contreparties, représentent un manque à gagner gigantesque pour la Sécurité sociale. Les estimations varient, mais ce cadeau fait aux entreprises se chiffre entre 75 et 90 milliards d'euros chaque année. C'est quatre à cinq fois le montant du déficit tant décrié.
En principe, la loi est formelle : toute exonération de cotisation décidée par l'État doit être compensée "intégralement" par ce dernier. C'est là que le bât blesse.
L'État a pris la détestable habitude de ne pas respecter ses propres règles. Soit il ne compense pas intégralement les exonérations "ciblées", soit il "compense" les allègements généraux par d'autres biais, comme l'affectation d'une fraction de la TVA. Cette manœuvre rend le système opaque et permet à l'État de "reprendre" d'une main ce qu'il donne de l'autre, en modifiant les règles d'affectation des impôts selon ses propres besoins budgétaires.
L'État affaiblit donc volontairement les ressources de la Sécu. S'il compensait à l'euro près, comme la loi l'exige, la totalité des exonérations qu'il a lui-même décidées, la Sécurité sociale serait massivement excédentaire.
En conclusion, il n'y a pas de "trou de la Sécu". Il y a un État français pour qui les ressources de la Sécu sont des variables d'ajustement. Le déficit n'est pas un problème de dépense, c'est un problème de recette orchestré par ceux-là mêmes qui prétendent vouloir "sauver" notre modèle social.