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«L'avenir n'est plus ce qu'il était» [Paul Valéry]



Les fonds vautours du crédit consommation

La justice s’attaque au maquis des vieux crédits à la consommation. En ligne de mire, des sociétés de recouvrement et certains huissiers aux méthodes musclées. La cour d’appel d’Amiens vient de déclarer illégales certaines pratiques. Une jurisprudence explosive qui menace ce drôle de business. Un article éclairant de Marianne.net.



Les fonds vautours du crédit consommation
Marianne.net
par LAURENT VALDIGUIÉ


La justice s’attaque au maquis des vieux crédits à la consommation. En ligne de mire, des sociétés de recouvrement et certains huissiers aux méthodes musclées. La cour d’appel d’Amiens vient de déclarer illégales certaines pratiques. Une jurisprudence explosive qui menace ce drôle de business.

Ils sont des centaines de milliers, peut-être des millions. Nul ne sait vraiment. Tous reçoivent le même genre de courrier, les rappelant à une vieille dette d’un crédit à la consommation des années 1990 à 2010. Avec une infinité de variantes. Aline L. a reçu le sien le 26 janvier 2022 : « Madame, nous vous informons que la société X a été mandatée pour régulariser votre dette 1008840863315. Sauf erreur ou omission, il vous reste à devoir aujourd’hui la somme de 30 448,08 €. Merci de nous contacter à réception de ce courrier au numéro suivant. »

Comme la plupart des destinataires de ce type de message, Aline a immédiatement appelé. Affolée. Une voix doucereuse lui a détaillé sa « dette », en fait un vieux crédit qu’elle n’avait pas fini de rembourser, assorti d’une montagne d’intérêts à plus de 18 % par an… « Afin de prouver votre bonne foi, vous pouvez d’ores et déjà effectuer un règlement », propose l’interlocuteur, envoyant le RIB d’une étude d’huissiers. Aline a eu un doute. Elle se plonge dans Internet et les forums où nombreux sont ceux, curieusement, qui conseillent « de payer un petit quelque chose ». Elle a rappelé le numéro. La voix doucereuse lui a répété que « si [elle payait] un peu, même moins de 100 €, on pourrait passer l’éponge ». Aline a sollicité l’avis d’un avocat. « Je lui ai immédiatement dit, comme à toutes les personnes dans son cas, de ne surtout rien payer du tout !, explique Me Paul-Émile Boutmy, spécialisé dans ce contentieux de masse. Ces vieilles dettes et leurs intérêts sont totalement prescrits ! En revanche, si vous payez, vous reconnaissez votre ardoise, et vous remettez les compteurs à zéro concernant la prescription. Du coup, ils se croient ensuite fondés à vous réclamer la totalité… »

Un drôle de milieu
Paul-Émile Boutmy est le grain de sable dans une mécanique bien rodée qui crache des millions. Cet avocat installé dans un petit cabinet dans le nord de Paris sait d’autant mieux de quoi il parle qu’il a travaillé pour le compte d’une des sociétés florissantes du business du recouvrement. « À cette époque, il m’est arrivé à plusieurs reprises d’être écœuré. Je me souviens d’un livreur qui avait été rattrapé pour le crédit d’une moto, contracté plus de vingt ans auparavant. Il était en train de refaire sa vie, après des années de galère à la suite d’un accident avec cette moto. Il avait été à la rue et essayait de s’en sortir, mais on lui a pris tout le peu qu’il avait… » À consulter les dossiers qui s’empilent sur son bureau, les exemples de cet ordre sont légion. « Je ne pouvais plus faire ce métier, ce n’était pas ce que je voulais faire dans la vie », glisse celui qui a finalement décidé de mettre sa connaissance de ce maquis juridique qu’est le recouvrement au service de clients plumés. Le plus souvent des gens modestes.

Un drôle de milieu, le « recouvrement ». Tout a commencé à la fin des années 2000 et s’est accéléré avec la crise financière de 2008. Une dizaine de sociétés (EOS, Credinvest, Foncred II, Intrum, Cabot, Hoist, 1640 finance, MCS, IQera…) rachète alors à la casse des millions de vieilles créances de crédits à la consommation dont se débarrassent les sociétés émettrices : la Fnac, Carrefour, Cofinoga, les Galeries Lafayette, Cetelem, Cofidis, Finaref (une filiale du Crédit agricole) et beaucoup d’autres. En reprenant en bloc ces portefeuilles d’impayés, les sociétés de recouvrement ont pour dessein de récupérer… le maximum.

Chez ces chasseurs de vieilles créances, les débiteurs sont classés en fonction de la nature de leur dette. Principal lot, ceux qui ont fait l’objet d’une décision de justice non contradictoire au profit de la société émettrice initiale et qui ont été destinataires à l’époque d’une injonction de payer, sur laquelle la société de recouvrement s’appuie pour réclamer des fonds. Dans la limite de la période de prescription. En 2008, celle-ci est passée de trente à dix ans avec effet immédiat menaçant d’effacer tous les dossiers, dix ans plus tard, en 2018. En 2017, la « chasse » s’est donc intensifiée. « Juste avant que le délai change, au printemps 2018, des milliers d’actes sont partis », raconte M e Boutmy. Objectif : remettre en main propre des documents à chaque débiteur afin de refaire courir le délai de prescription jusqu’en 2028. Parfois, faute de trouver leurs « cibles », certains commissaires de justice n’ont pas hésité à prétendre avoir effectué un passage. « Sur plusieurs dossiers, j’ai même pris des huissiers la main dans le sac », dit Me Boutmy. Dans un cas, il a ainsi pu prouver que son client, handicapé, n’avait pas bougé de chez lui, une tour de Bobigny, le jour du prétendu passage. Dans un autre cas, très récent, il a pu prouver que la rue avait changé de nom…

Mais le principal cheval de bataille reste celui des intérêts. Dans les années 1990 et 2000, les crédits à la consommation, censés être des crédits de court terme, étaient accordés à des taux annuels de l’ordre de 16 à 20 %. Avec des taux pareils, les choses vont très vite. En moins de cinq ans, la facture double, voire triple. Pour les sociétés de recouvrement, un boulevard. « Quand elles ont racheté leurs portefeuilles de créances, elles savaient que le temps jouait doublement en leur faveur, d’abord parce que, chaque année, grâce aux intérêts, la dette gonflait, et ensuite parce que c’est mieux de tomber sur les gens une fois qu’ils sont à la retraite. C’est plus facile de lancer des saisies… » Me Boutmy est persuadé que, au sein de certaines sociétés, des tableaux sont réalisés afin de personnaliser les poursuites.

“SI LES GENS PAYENT UNE PART DE LEUR DETTE, LE DÉLAI DES DEUX ANS RECOMMENCE À COURIR POUR LA DETTE RESTANTE.”

Me BOUTMY

Calculs d’apothicaire
Le 11 avril 2016, un juge d’instance de Montargis (Loiret) alerte sur la question des intérêts et saisit la Cour de cassation. Dès le 4 juillet 2016, la haute juridiction rend un avis : elle bloque la prescription des intérêts à deux ans sans toucher à celle du capital, qui reste décennale. Puis, en 2020, un arrêt confirme ce délai. « Oui, mais quand les gens payent une partie de leur dette, le délai des deux ans recommence à courir pour la dette restante », indique Me Boutmy, obligé de surveiller à la loupe les calculs d’apothicaire des sociétés de recouvrement… N’empêche, six ans après cet avis de la Cour de cassation, la plupart d’entre elles, aujourd’hui encore, continuent de réclamer des intérêts sur cinq, voire quinze ans, s’appuyant sur une jurisprudence concernant… des impayés de loyers ! Me Boutmy dispose d’une foule d’exemples impliquant un huissier du Pasde-Calais, l’étude Sinequae. « Nous travaillons à l’exécution de décisions de justice, se défend Barbara Serednicki, associée de cette étude. Dans nos décomptes d’intérêts, nous mettons toujours le montant total, mais il y a une ligne “intérêts prescrits” qu’il faut soustraire », assure-t-elle. Pas toujours si clair. Un ancien avocat parisien, rattrapé pour une vieille dette de vingt-cinq ans qu’il croyait avoir remboursée, s’en étrangle encore. « On vient de me réclamer des années d’intérêts, bien au-delà des deux ans, et je n’ai jamais pu obtenir le moindre document établissant le bien-fondé de leurs poursuites actuelles », confie-t-il. Il a déposé plainte pour extorsion de fonds…

Certains huissiers, constate aussi Me Boutmy, n’hésiteraient pas non plus à produire des faux versements, qui ont tous pour but d’interrompre la prescription des intérêts… pour ensuite réclamer de nouveaux intérêts, sur la base de leurs propres faux.

De tous ces dossiers d’intérêts indus, le cas de Mme L., femme de ménage des Yvelines, est un des plus emblématiques. En 1990, elle contracte un crédit à la consommation de 30 000 francs de l’époque. En 1994, sa dette, intérêts compris (16,88 %), est de 36 935 francs. Mais, en 2017, une des sociétés de recouvrement, 1640 finance, la rappelle, et la convainc de rembourser par « petits versements ». Mme L. l’ignore, mais à chaque fois qu’elle verse quelque chose, elle remet les compteurs à zéro pour deux ans. « Ils lui réclamaient 30 000 €, dont 9 600 € d’intérêts, alors qu’en réalité elle ne devait que 569 € ! », se désole Me Boutmy. Le dossier s’est soldé à 18 000 € au total. Soit l’équivalent de 120 000 francs… Mais la société 1640 finance a été condamnée à lui verser 10 000 € de dommages et intérêts pour « comportement déloyal ».

Pratiques trompeuses
Dans ce maquis, où les gens hésitent à déposer plainte, la colère gronde. Après des années de flottement, à obliger le plus souvent les « mauvais payeurs » à s’acquitter de leurs dettes rubis sur l’ongle, intérêts pharaoniques compris, la justice semble changer de pied. À la fin de 2021, un juge de l’exécution parisien, Cyril Roth, est saisi du cas d’Erika S. Cette Parisienne est en litige avec EOS France, au sujet d’un crédit Finaref de 2006 d’un montant de 1 500 €. Mais la société de recouvrement lui réclame cinq ans d’intérêts à 16,42 %. Au terme de son délibéré, Cyril Roth non seulement déboute EOS France, mais saisit le parquet de Paris d’un article 40, dénonçant des « pratiques commerciales trompeuses ».

À Amiens, en septembre 2021 et février 2022, la cour d’appel a rendu deux arrêts spectaculaires dénonçant cette fois des pratiques « commerciales abusives ». Visées, les sociétés EOS France et Intrum, qualifiées par le juge de « fonds vautours ». « La reprise de recouvrement forcé de crédits à la consommation plusieurs années (onze ans) après l’interruption des poursuites par le créancier initial, par le cessionnaire ayant acquis le titre dans le cadre d’une cession spéculative des crédits à la consommation doit être qualifiée d’abusive au sens de l’abus de droit », écrit sèchement la cour d’appel. En clair, cette juridiction estime que le recouvrement de vieilles créances à des fins spéculatives est tout simplement illégal… Sollicité par Marianne, l’avocat d’EOS, Me Cédric Klein se refuse à tout commentaire.

« Judiciairement parlant, les choses sont en train de bouger, constate Me Boutmy. J’ai un client à qui ils réclamaient 5 000 € d’intérêts, et qui est sorti du tribunal avec, lui, 5 000 € de dommages et intérêts ! » Mais, pour quelques dossiers débloqués, combien de milliers de personnes continuent de payer à tort… dans l’ignorance de leurs droits et de cette jurisprudence renversée ? L.V.

“ILS LUI RÉCLAMAIENT 30 000 €, DONT 9 600 € D’INTÉRÊTS, ALORS QU’EN RÉALITÉ ELLE NE DEVAIT QUE 569 € ! »

Me BOUTMY


N.D.L.R

Il vaut mieux le savoir !






Mercredi 19 Octobre 2022

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