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«L'avenir n'est plus ce qu'il était» [Paul Valéry]



L'incroyable M. Todd

Sous le polémiste Emmanuel Todd, premier antisarkozyste de France, se cache un historien et un démographe respecté qui a publié le 8 septembre une oeuvre monumentale, fruit de quarante ans de réflexion : «L'Origine des systèmes familiaux». Un article de Marianne qui mérite d'être lu



L'incroyable M. Todd
Le héros semble un peu fatigué. Rentré du Japon, où il s'est approché cet été à 30 km de la centrale de Fukushima, Emmanuel Todd est à moitié endormi sur la bergère en velours d'un petit salon des éditions Gallimard. On entre. Premier éclat de rire. «Cette interview commence sous les meilleurs auspices... Voyez l'état de votre sujet !» Cinq minutes plus tard, le Zébulon, tout à fait réveillé et très concentré, discourt sur les inconvénients du système patrilinéaire au Moyen-Orient et sur les Indiens shoshones des montagnes Rocheuses, tout en demandant un deuxième café et en glissant quelques vacheries sur tel ou tel journaliste connu.

Par chance, c'est le premier entretien que le démographe le plus people de France (étourdissant oxymore) accorde en ce mois d'août, à l'occasion d'un livre extrêmement ambitieux, L'Origine des systèmes familiaux, véritable retour aux sources pour cet élève de Le Roy Ladurie. Une réfutation de Lévi-Strauss, hard core à souhait, autour de laquelle les médias s'agiteront pourtant jusqu'à l'automne. C'est que l'homme est un excellent «client». Son sens de la formule enchante les électeurs (de gauche) et terrorise l'establishment (de tout bord), qui a compris qu'il valait mieux ne jamais être un jour dans son viseur. Sarkozy ? «Une version politique du vélo d'appartement» (entre cent autres images réjouissantes qui surgissent spontanément au fil de sa conversation ou de sa plume). Pascal Lamy (patron de l'OMC) ? «Le Forrest Gump du libre-échange.» Barack Obama ? «Un Chirac planétaire.»

Vedette américaine quasi permanente sur le plateau de Frédéric Taddeï, il a fait les riches heures de «Ce soir (ou jamais !)» durant les rudes hivers dépressifs de l'après-Fouquet's. Devenue culte sur Dailymotion, la vidéo «Todd explose Sarko en direct sur France 3» a beaucoup tourné. On en connaît à qui Emmanuel Todd a permis de survivre «mentalement» au sarkozysme. La banlieue éclairée en a aussi fait une de ses icônes. Dans la rue, à Paris, de jeunes Beurs l'arrêtent pour le remercier ou simplement discuter. «C'est une des fiertés de ma vie, cette confiance que me font les enfants d'immigrés», assure Todd, presque ému.

Celui qui fâche...

Le genre de propos qui révulsent certains de ses anciens camarades de la Fondation du 2-Mars, think tank républicain où se croisaient encore au début des années 2000 des gens désormais aussi antagonistes qu'Emmanuel Todd, Henri Guaino ou Pierre-André Taguieff. Aux yeux de ses «ex», la nouvelle posture «immigrationniste» de Todd, pour parler comme ledit Taguieff ou comme Renaud Camus, est indigne et irresponsable. Lui persiste, signe, et renvoie l'accusation d'«anti-France» à ceux qui lui font la leçon. Dans une interview filmée mise en ligne le 13 juillet dernier sur le sulfureux oumma.com, Todd déclarait ainsi : «Si vous êtes islamophobe et arabophobe en France aujourd'hui, c'est que vous travaillez très consciemment à la destruction de votre pays.»

Issu d'une famille juive, venue du ghetto de Metz à la fin du XVIIIe siècle, un peu anglais par son père (le grand reporter Olivier Todd), un peu breton aussi, Emmanuel a fait de la défense des musulmans, régulièrement ciblés ces dernières années par la droite sarkozyenne, un cheval de bataille non négociable pour lui. De quoi se fabriquer à bon marché des haines solides. Autre combat du guerrier Todd : la lutte contre l'idéologie libre-échangiste, qui plombe radicalement la gauche socialiste à ses yeux. Crise financière oblige, le sujet est devenu plus consensuel. Todd, qui passait quasiment pour un zozo lorsqu'il prônait un protectionnisme européen dès 1999 (dans la réédition de l'Illusion économique), est devenu très consulté sur ce sujet aussi.

Nostradamus démographe

Cette position, antisystème et protectionniste, lui a valu la très mauvaise publicité d'être salué au début de l'été par Marine Le Pen, celle-ci faisant mine de tenir son analyse pour «similaire à la [leur] sur un certain nombre de points». Un baiser de la mort, divine surprise pour les adversaires de l'intellectuel, dont celui-ci s'est immédiatement tiré le 14 juillet dernier dans Libération, jour symbolique de fête nationale, en livrant une interview sans concession sur le «Front anti- national».

Au fond, Emmanuel Todd se sent invincible. Il l'est sûrement, d'ailleurs. Excellentes études (Sciences-Po et Cambridge), excellente nature (optimiste, rieur, gros bûcheur), excellente famille (petit-fils de Paul Nizan, il est également apparenté à Claude Lévi-Strauss), Todd le jeune, 60 ans tout de même cette année, sait bien que la France, encore monarchique sur ce point, pardonne tout aux petits princes de ses grandes tribus républicaines, aussi turbulents soient-ils.

Lévi-Strauss, justement. Son arrière-petit-cousin, Emmanuel Todd, l'attaque bille en tête dans ce traité, l'Origine des systèmes familiaux, premier tome d'une énorme somme dédiée à l'Eurasie, fruit de quarante ans de recherches. Car il ne faudrait pas l'oublier, derrière le polémiste Emmanuel Todd et ses canonnades hilarantes, il y a aussi un chercheur, austère et rarement réfuté. Dès son premier livre, la Chute finale (1976), Todd, alors âgé de 25 ans, réalisait un coup de maître. Observant la remontée du taux de mortalité infantile en URSS, il annonçait l'effondrement rapide et inéluctable du régime soviétique. Haussements d'épaules. Treize ans plus tard, l'impossible advenait. Depuis cette époque, la démographie aura été son marc de café. Sa miraculeuse martingale. Sans forcément le dire, chacun surveille les prédictions de Nostradamus Todd.

Les entrailles de l'humanité

En 2002, dans Après l'empire, le scénario catastrophe «toddien» du décrochage imminent de la puissance américaine était le suivant : une panique boursière d'une ampleur jamais vue, «qui aurait pour effet de mettre un terme au statut économique "impérial" des Etats-Unis». En sommes-nous aujourd'hui si loin ? En janvier 2011, en pleine révolution tunisienne, on demande à Todd quels seront les prochains tyrans à tomber. Il pronostique que deux d'entre eux devraient sous peu avoir des nuits courtes : Hosni Moubarak et Bachar al-Assad. L'un est actuellement jugé, on espère que l'autre sera bientôt condamné.

Nul mystère pourtant à cette efficacité prédictive, s'amuse Todd, qui s'en explique dans l'entretien que nous publions. Les grandes variables démographiques ne sont certes pas les entrailles de poisson où lisent les nouveaux oracles, mais elles sont tout de même les entrailles de l'humanité, où l'on peut déchiffrer son avenir. «Je ne suis sans doute pas génial... mais attention, je n'ai pas dit que j'étais nul !» s'insurge le savant fou des taux d'alphabétisation, qui oscille toujours entre mégalomanie tranquille et autodépréciation cocasse.

Hégélien malgré lui, Emmanuel Todd est sans doute le dernier intellectuel de France à croire encore en la rationalité du réel. Tandis que certains jouent aux antimarxistes intransigeants sans même s'apercevoir qu'ils vivent les yeux rivés sur des données économiques, lui surveille d'autres chiffres. Les taux de fertilité et l'espérance de vie. Ceux de la vie et de la mort. Avec un mélange étrange de rigueur scientiste et de foi du charbonnier. Il assure d'ailleurs que désormais il préférerait s'en tenir là, aux recherches de fond. Fatigué de la politique, fatigué de la «nullité» du PS (dixit), fatigué de taper sur «ce machin» (Sarkozy). A cette prédiction-ci, en revanche, on ne croit pas un instant. Une fois le décalage horaire passé, le héros n'oubliera pas d'être féroce.

L'Origine des systèmes familiaux. Tomme 1 : L'Eurasie, d'Emmanuel Todd, Gallimard, 730 p., 29 €.

Par Aude Lancelin - Marianne | Mercredi 14 Septembre 2011

N.D.L.R

Une citation, qui ne plaira pas à tout le monde, mais me parait frappée au coin du bon sens :

Les enseignants, qui constituent l'un des cœurs sociologiques de la gauche, sont faiblements menacés par l'évolution économique. N'ayant pas à craindre au jour le jour le licenciement ou une compression de salaire, ils ne se sentent pas menacés d'une destruction économique, sociologique et psychologique. Ils ne sont donc pas mobilisés contre la pensée zéro. Sans être le moins du monde "de droite", statistiquement, ou favorable au profit des grandes entreprises, ils sont atteints de passivisme et peuvent se permettre de considérer l'Europe monétaire et l'ouverture des échanges internationaux comme des projets idéologiques sympathiques et raisonnables.

Voilà qui assure la stabilité européiste et libre-échangiste du Parti socialiste, dans ses tréfonds militants et non simplement parmi ses dirigeants. [] L'immobilité idéologique des enseignants les a séparés de cet autre cœur sociologique de la gauche que constituent les ouvriers, qui eux subissent, depuis près de vingt ans, toutes les adaptations, tous les chocs économiques concevables.

L'Illusion économique, Emmanuel Todd, éd. Gallimard, 1999, p. 103

Et voila pourquoi votre fille est muette...

Une autre citation de Todd, sur Sarkozy

Si Sarkozy existe en tant que phénomène social et historique, malgré sa vacuité, sa violence et sa vulgarité, nous devons admettre que l'homme n'est pas parvenu à atteindre le sommet de l'Etat malgré ses déficiences intellectuelles et morales, mais grâce à elles. C'est sa négativité qui a séduit. Respect des forts, mépris des faibles, amour de l'argent, désir d'inégalité, besoin d'agression, désignation de boucs émissaires dans les banlieues, dans les pays musulmans ou en Afrique noire, vertige narcissique, mise en scène publique de la vie affective et, implicitement, sexuelle : toutes ces dérives travaillent l'ensemble de la société française; elles ne représentent pas la totalité de la vie sociale mais sa face noire, elles manifestent son état de crise et d'angoisse. [...] Au fond, nous devrions être reconnaissant à Nicolas Sarkozy de son honnêteté et de son naturel, si bien adaptés à la vie politique de notre époque. Parce qu'il a réussi à se faire élire en incarnant et en flattant ce qu'il y a de pire autour de nous, en nous, il oblige à regarder la réalité en face. Notre société est en crise, menacée de tourner mal, dans le sens de l'appauvrissement, de l'inégalité, de la violence, d'une véritable régression culturelle.

Après la démocratie, Emmanuel Todd, éd. Gallimard, 2008, p. 16

Et oui ! Ne jamais l'oublier : Sarkozy, c'est nous ! Ce n'est certes pas flatteur pour nous mais si ce n'était pas le cas il n'aurait jamais été élu. A noter toutefois qu'il y a beaucoup de français, dont votre serviteur, qui n'ont pas voté pour lui. Mais c'est la démocratie.



Jeudi 15 Septembre 2011

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